Les "structures boîtes-emboîtées"

Ces travaux forment la base et la référence à l’identification de la structure de l’organisation des bifurcations des itérations d’une fonction à un extremum : c’est l’ambition plus générale du groupe, qui intègre (et dépasse) la seule question du doublement de période. La fonction quadratique-type, explorée numériquement, est : f(x)=x²-λ. Afin de rendre compte de la structure des bifurcations, Mira et Gumowski construisent une "structure de type boites emboîtées" 803 . Cette structure possède une propriété essentielle, celle d’être auto-similaire 804 .

Afin de donner une idée de la complexité de la construction et surtout des différences d’approches avec Feigenbaum, Coullet et Tresser, on peut résumer brièvement le procédé employé par les deux physiciens.

Les boîtes se construisent selon les manifestations de trois types de bifurcations dans l’itération de f(x)=x²-λ. La première est celle donnant naissance à deux points fixes, q 1 (instable) et q 2  (stable). Ceci arrive pour λ= λ (1)0 =-1/4, lorsque la parabole est tangente à la première bissectrice.

La seconde bifurcation est le doublement de période de q 2 , correspondant à un λ noté λ (1)s . La dernière est une bifurcation "non classique", qui correspond à la coalescence de points singuliers de natures différentes : le cycle instable q 1 et un point critique de rang deux (deux itérations de l’extremum de la parabole). Le λ correspondant est celui qui vérifie q 1 = λ²- λ, et λ= λ 1 * =2 ici.

La "boîte" est l’intervalle Ω 1 =[λ (1)0 ; λ 1 * ]. En reproduisant le schéma de construction pour les itérés d’ordre k de f (notées f (k) ) une succession de boîtes est obtenue, imbriquées les unes dans les autres. Ce sont des "boîtes-emboîtées". Du fait de la multiplicité des cycles de période élevée, la construction réclame des précautions et des notations assez complexes, dont nous avons seulement donné un avant-goût. Cette simple illustration révèle les facettes de la structure et les informations qui s’en dégagent :

Le résultat des investigations de Mira et Gumowski est un cadre théorique, assez général, donnant une classification extrêmement précise de l’agencement des bifurcations, dont les bifurcations de doublement de période forment une catégorie. Il n’est pas question ici ni de renormalisation, ni d’universalité, malgré la notion d’autosimilarité introduite par construction. Les propriétés métriques des bifurcations, explicitées par Feigenbaum, ne sont pas en jeu. Pour bien dégager le sens de ces travaux il convient de les resituer dans leur contexte.

Mira et Gumowski étudient les bifurcations et leurs structures, dans la perspective de mettre en évidence les propriétés des solutions complexes et leurs "mécanismes" de formation 805 . Ce n’est pas uniquement un problème de transition par bifurcations successives (vers un état appelé chaos ou autre), simplement parce que le comportement "final" n’a pas à être dissocié du mécanisme qui l’engendre. Les considérations sur les "boîtes-emboîtées" ne sont qu’un extrait d’un ensemble très vaste de travaux concernant les solutions complexes et la dynamique générale des récurrences.

La rencontre avec la question du chaos apporte des éléments supplémentaires, très significatifs. A la fin de l’année 1975, une note publiée aux Comptes Rendus de l’Académie des Sciences aborde les suggestions de May, diffusées en 1974, pointant les comportements dits "chaotiques". L’explication de Mira, au sujet d’une itération à partir du modèle f(x,λ)=x.exp[ λ(1-x/K)] est la suivante :

‘"Ce qui est appelé ‘chaos’ en biologie par certains auteurs [May] a donc pour origine, d’une part la présence de cette infinité de cycles répulsifs sur x>0, [...] d’autre part, quand λ croît de zéro à l’infini, l’existence d’une structure de bifurcations de type ‘boîtes emboîtées’..." 806

Cette courte citation appelle plusieurs commentaires. Elle montre en premier lieu la remarquable expérience acquise sur les itérations et la réactivité de Mira. Ce que le groupe de Li, Yorke et May découvre tout juste, lui semble familier au point d’en préciser immédiatement les contours et l’origine. Deuxièmement, on constate que l’explication cristallise deux éléments dont on a vu l’importance : la présence d’une infinité de comportements périodiques instables, pour reformuler la première partie de la suggestion de Mira dans un autre vocabulaire, et la structure "boîtes-emboîtées", dont découle le doublement de période en particulier. Ceci traduit également le fait que ces préoccupations sont parfaitement mêlées : le chaos s’explique, en partie, par les mécanismes de bifurcation.

Notes
803.

Les deux articles initiaux sont [GUMOWSKI, I., MIRA, C., 1975b] et [MIRA, C., 1976a]. Dans leur ouvrage [GUMOWSKI, I., MIRA, C., 1980] ils y consacrent un chapitre, p. 97-120.

804.

Dans les premiers articles le vocable " auto-similaire" n’est pas utilisé, encore moins "fractal". Selon les termes exacts, les boites construites successivement ont "les mêmes propriétés" que celles dans lesquelles elles s’emboîtent : [GUMOWSKI, I., MIRA, C., 1975b], p. 46.

805.

C’est ce qui transparaît de l’ensemble de leurs travaux, plus particulièrement d’un préliminaire à la question des boîtes-emboîtées : [GUMOWSKI, I., MIRA, C., 1975a].

806.

[MIRA, C., 1976a], p. 220.