Conclusion générale sur le doublement de période dans les itérations

De manière générale les recherches sur la cascade de doublements de période ont eu énormément de succès, au sens où un grand nombre de résultats ont été produits en très peu de temps, tout en étant fortement mis en valeur. Plusieurs raisons expliquent ce phénomène. La vulgarisation qui, de May en 1976 à Feigenbaum lui-même, distille les principales avancées, a induit une focalisation sur certains thèmes : nous avons mentionné les attracteurs étranges et l’"effet papillon" ; il faut adjoindre la "cascade de Feigenbaum" en tête de ces thèmes privilégiés. Dans les préoccupations plus proprement scientifiques, le doublement de période doit son succès à d’autres paramètres. Cette citation, de deux physiciens, résume l’état d’esprit autour de 1980 :

‘"Récemment il y a eu un engouement considérable avec la possibilité que des applications itérées de l’intervalle puissent fournir un modèle mathématique de certains systèmes physiques subissant une transition d’un comportement périodique à un comportement chaotique. Une raison de cet engouement est le fait qu’il existe des caractéristiques des applications qui se comportent de manière universelle à proximité de la transition et à la transition. En effet, il a été prouvé qu’il est possible de construire une analogie avec les phénomènes critiques, de produire des exposants critiques, et, dans un cas, d’obtenir une fonction d’échelle universelle." 808

Le fait que le mécanisme soit simple, qu’il permet d’expliquer facilement la transition des comportements périodiques vers un état de chaos et qu’il ait été observé expérimentalement très tôt, donne ainsi beaucoup de poids à ces considérations. En reprenant Aubin et Dahan, il s’agit également d’une sorte de réconciliation car l’analogie entre transition de phase et instabilités au démarrage de la turbulence avait été tentée, sans succès jusque là 809  : ceci pourrait expliquer le vif succès et l’enthousiasme rencontrés par les propositions de Feigenbaum.

L’universalité est donc d’autant plus attirante. Elle est quantitative et fournit des exposants critiques pour la turbulence. En outre, le cadre théorique ne se contente pas de donner une simple phénoménologie de l’universalité mais produit une interprétation très remarquable. Enfin, l’analyse de l’universalité est le produit d’une convergence de problématiques de mathématique et de physique ; plus encore c’est un croisement au niveau conceptuel et au niveau des démarches, où l’expérimentation numérique, réalisée par des physiciens, s’associe à des théories physiques et mathématiques. L’universalité a tout pour séduire autant les mathématiciens que les physiciens.

En définitive, voilà qui explique le "mythe" Feigenbaum. Il est rapidement considéré comme l’initiateur de toute cette histoire au point d’occulter ce que d’autres ont pu faire et d’associer à son nom des découvertes dont il n’est pas responsable. Pour des multiples raisons intellectuelles, sociologiques, institutionnelles (voire publicitaires) que nous avons mises en lumière, Feigenbaum concentre et cristallise, à lui seul, ce renouveau, au prix d’une considérable simplification des faits.

Notes
808.

"Recently there has been considerable excitement over the possibility that iterated maps of the interval might provide a mathematical model for certain physical systems that undergo a transition from periodic to chaotic behavior. One reason for this excitement is the fact that there are characteritics of the maps that behave in a universal fashion at and near the transition. In fact, it has proven possible to construct an analogy with critical phenomena, derive critical exponents, and, in one case, obtain a universal scaling function.", [NAUENBERG, M., RUDNICK, J., 1981], p. 493.

809.

[AUBIN, D., DAHAN, A., 2002], p. 316-318. Les auteurs soulignent que Ahlers, Gollub, Swinney, Libchaber, Dubois, Bergé étaient des expérimentateurs, spécialistes des phénomènes critiques avant de se convertir à l’hydrodynamique. Kenneth Wilson, l’un des principaux instigateurs des théories de renormalisation avait déjà signalé les analogies potentielles entre les phénomènes critiques et les systèmes dynamiques. Ils avaient donc déjà fait germer plusieurs idées sur ces analogies, restées sans suite véritable, jusqu’à l’épisode Feigenbaum.