Quelques théorèmes sur le mouvement des systèmes dynamiques, 1912

Dans l’article de 1912 Birkhoff donne de nouvelles définitions et, en premier lieu, il prend la peine de préciser ce qu’est un "système dynamique" :

‘"Un système dynamique, dans une très large acception, peut être considéré comme défini par un système quelconque d’équations différentielles ordinaires du premier ordre : ’ ‘ dx 1 /X 1 =…=dt ’ ‘où X 1 , …, X n sont des fonctions données, réelles et uniformes de x 1 ,…,x n , analytiques par rapport à ces variables, et où t est la variable indépendante. Les variables x 1 ,…x n , sont les coordonnées du mouvement. Et t, indique le temps." 845

L’exercice de définition est plus important que la formulation elle-même. Poincaré n’avait pas fixé la notion de système dynamique et s’intéressait aux équations différentielles. Signalons deux choses. Tout d’abord, comme dans tous les travaux de Birkhoff qui suivront et qui concerneront les "systèmes dynamiques", il faut comprendre qu’il s’agit des "systèmes issus de la dynamique", autrement dit des équations différentielles tirées des principes Lagrangiens, et surtout Hamiltoniens avec Birkhoff. Ce rapport à la Mécanique n’a rien d’anecdotique comme on le verra. Ceci a pour conséquence que Birkhoff s’occupe essentiellement de systèmes dynamiques conservatifs, pour utiliser le terme contemporain.

Ensuite, ces systèmes sont étudiés géométriquement : "les équations sont aussi représentées par une courbe de l’espace à n dimensions" 846 . La géométrisation suggérée par Poincaré est reprise par Birkhoff, ce qui ne se démentira pas par la suite.

En 1912, Birkhoff s’intéresse à la stabilité du mouvement d’un tel système dynamique et propose pour cela d’introduire différentes notions : les "mouvements positivement stables", et les "points limites alpha et oméga".

Les "mouvements positivement stables" correspondent aux mouvements qui "à partir d’un certain moment et ultérieurement, n’approche jamais indéfiniment près de certaines positions singulières" 847 , avec les variantes négativement stables (lorsque le sens du temps est inversé) et instables lorsque la condition n’est pas respectée.

Les "points limites alpha et oméga" sont : "Tous les points desquels les points de la courbe représentative d’un mouvement s’approchent indéfiniment pour lim t=+∞ (ou lim t=-∞), seront appelés les points-limites oméga (ou alpha) du mouvement" 848 .

Le premier théorème sur ces points-limites stipule alors :

‘"Théorème I. – Les points-limites oméga d’un mouvement positivement stable représentent un ensemble de mouvements, positivement et négativement stables, desquels le mouvement donné s’approche uniformément quand le temps croît, c’est-à-dire que la distance entre le point représentant le mouvement et l’ensemble de points-limites tend vers 0 pour lim t=+∞" 849

Deux tendances se dégagent très clairement de cet article de Birkhoff. Tout d’abord il prend une vision géométrique sur les équations différentielles (et donc sur ses systèmes dynamiques). Il considère les ensembles de trajectoires, et non pas les trajectoires isolées pour elles-mêmes. Il produit une extension de la notion d’orbites périodiques en deux sens, puisque ses mouvements "récurrents" contiennent les mouvements périodiques et qu’ils sont déjà promis à jouer le rôle que Poincaré a donné à ces orbites périodiques. Le cœur de l’article de 1912 est, en effet, la notion de mouvement récurrent, qui traverse et symbolise les travaux de Birkhoff :

‘"Tout ensemble fermé M’ de mouvements positivement et négativement stables, tel que tout mouvement de M’ admet M’ pour son ensemble de mouvements limites alpha, ainsi que pour son ensemble de mouvements limites oméga, sera appelé un ensemble minimal ; et tout mouvement de M’ sera appelé un mouvement récurrent" 850

D’après Birkhoff le mouvement récurrent est "une extension naturelle des mouvements périodiques" 851 . Il a des propriétés remarquables : tout point de sa courbe représentative est à la fois un point-limite alpha et un point-limite oméga, il est donc stable au sens de Poisson 852 . Birkhoff donne les deux exemples "les plus simples de mouvement récurrent" : "les cas du repos et du mouvement périodique" 853 . Enfin il livre une autre caractérisation des mouvements récurrents :

‘"Théorème III. – La condition nécessaire et suffisante pour qu’un mouvement positivement et négativement stable M soit un mouvement récurrent est que pour tout nombre positif ε, si petit qu’il soit, il existe un intervalle de temps T, assez grand pour que l’arc de la courbe représentative correspondant à tout intervalle égal à T ait des points distants de moins de ε de n’importe quel point de la courbe tout entière." 854

Birkhoff se sert des mouvements récurrents pour pénétrer la dynamique des systèmes dynamiques.

L’intérêt des mouvements récurrents est double : d’une part, ils se présentent en nombre dans la dynamique puisque l’ensemble des mouvements limites de tout mouvement contient au moins un mouvement récurrent 855 . D’autre part, Birkhoff, sur la base de son "Théorème V" 856 , imagine qu’il est possible de représenter un mouvement stable donné, aussi exactement qu’on le désire, au moyen d’un ensemble de mouvements récurrents et de mouvements qui leur sont asymptotiques.

On notera au passage qu’il ne s’agit pas seulement du problème des trois corps (ce dont traitait Poincaré lorsqu’il a amené l’idée d’utiliser les orbites périodiques comme levier de son étude), mais des systèmes dynamiques (au sens de Birkhoff) en général. Comme Poincaré, cependant, Birkhoff est intéressé par la classification des différents mouvements récurrents possibles, qu’il ne fait qu’entamer.

Il dégage deux types : les continus (ceux représentables au moyen de fonctions continues et périodiques des variables qu’elles contiennent) et les discontinus. Il reprend le cas des géodésiques d’Hadamard pour suggérer l’existence de mouvements récurrents discontinus 857 (puis au terme de son article montre que lorsque les équations ne sont pas analytiques, il existe des récurrents discontinus 858 ).

Notes
845.

[BIRKHOFF, G.D., 1912], p. 306.

846.

Ibid., p. 306.

847.

Ibid., p. 305.

848.

Ibid., p. 308 (en italique dans le texte).

849.

Ibid., p. 309 (en italique dans le texte).

850.

Ibid., p. 311 (en italique dans le texte).

851.

Ibid., p. 305.

852.

Il s’approche arbitrairement près d’une quelconque de sa position initiale, infiniment souvent. [BIRKHOFF, G.D., 1912], p. 311.

853.

[BIRKHOFF, G.D., 1912], p. 312.

854.

Ibid., p. 312 (en italique dans le texte).

855.

"Théorème IV.- L’ensemble des mouvements limites oméga M’, de tout mouvement positivement stable M, contient au moins un mouvement récurrent." p. 314 (en italique dans le texte).

856.

"Théorème V.- Tout mouvement positivement stable M à la propriété que, pour tout nombre positif ε, on peut choisir un nombre positif T assez grand pour que, sur tout arc de la courbe M correspondant à un intervalle égal à T, après l’instant initial t=t 0 , tous les points ne restent pas à une distance au moins égale à ε des courbes de tous les mouvements limites récurrents de M." p. 316 (en italique dans le texte).

857.

Le raisonnement de Birkhoff sur les géodésiques est le suivant. Elles ont été classées par Hadamard en trois catégories (celles qui sont fermées ou asymptotiques à des géodésiques fermées ; celles qui s’éloignent sur les nappes infinies de la surface ; celles qui restent dans les régions finies de la surface et qui sont en nombre fini). La troisième catégorie donne des mouvements stables, donc d’après le théorème IV, il existe un mouvement récurrent parmi les géodésiques représentant les mouvements limites. Il ne peut pas s’agir du type 1 et 2 de la classification (non récurrents), donc soit il existe un mouvement récurrent de la troisième catégorie, soit toutes les géodésiques de la troisième catégorie "tend à s’approcher infiniment souvent, infiniment près en position et en direction d’une certaine géodésique fermée, pour s’éloigner chaque fois de nouveau lorsque le temps continue à croître". [BIRKHOFF, G.D., 1912], p. 318.

858.

La question de l’existence des mouvements récurrents discontinus dans le cas analytique a été résolue par son élève Marston Morse. [BARROW-GREEN, J., 1997], p. 212 et p. 222.