Dynamical Systems, 1927

La même année son Dynamical Systems fait le bilan des perspectives de Birkhoff sur les systèmes dynamiques construites en une quinzaine d’années 871 . Le prolongement des idées de Poincaré est assumé et affiché, comme pour tout ce qui précède. Ce traité sera à Birkhoff ce que les Méthodes Nouvelles sont à Poincaré, c’est-à-dire une sorte de synthèse de ses idées, une source d’outils pour étudier la dynamique, de réflexions aussi car il ne prétend pas tout résoudre dans ce seul volume. Une nuance est toutefois nécessaire : ce n’est pas le point d’orgue de son travail sur la dynamique, mais seulement une étape.

En un mot, Birkhoff propose un nouveau cadre général pour la dynamique ; il inclut des questions de dynamique formelle et des notions de stabilité.

L’ouvrage de Birkhoff détaille beaucoup de résultats dans différents chapitres de la théorie des systèmes dynamiques. Dans l’ordre de présentation, il s’agit d’abord de la dynamique formelle. Birkhoff donne là la propriété de réduction de systèmes Hamiltoniens ou Pfaffiens à des formes normales 872 . Il s’intéresse ensuite à la stabilité de ces systèmes, dans le cas d’un point d’équilibre "généralisé", en définissant deux notions de stabilité pour ce cas et en montrant que la stabilité ordinaire implique, dans le cas des systèmes Hamiltoniens ou Pfaffiens, leur stabilité complète 873 .

En sortant du cadre strictement formel, Birkhoff mentionne également la stabilité "permanente" (qui correspond simplement au cas ou de petits déplacements de l’équilibre ou de la trajectoire périodique demeurent petits) ; elle est de première importance théorique aux côtés de la stabilité complète. C’est en ces termes que se pose le "problème de la stabilité" :

‘"Une question importante en dynamique est celle de savoir si la stabilité formelle complète d’un mouvement périodique de type stable assure la stabilité dans le sens qualitatif défini ci-dessus." 874

Ceci masque deux interrogations : celle de savoir si la stabilité complète assure effectivement une stabilité permanente, et sinon celle de déterminer s’il y a tout de même stabilité dans les cas particuliers importants, comme le problème des trois corps restreints 875 . En d’autres termes, les conditions formelles pour avoir une stabilité permanente ne sont pas connues.

Birkhoff présente ensuite des éléments d’une théorie générale des systèmes dynamiques construite sur les notions acquises depuis 1912. Les points récurrents sont intégrés à un ensemble plus large de définitions qui inclut la notion d’ensemble invariant, de points errants 876 (et non-errants), de mouvement central 877 .

Les mouvements centraux sont des équivalents des mouvements stables "à la Poisson", présentés par Poincaré dans le cadre de la dynamique classique 878 . L’importance qui leur est accordée tient au fait qu’ils existent pour les systèmes dynamiques généraux. Ils englobent les mouvements récurrents et naturellement, les mouvements périodiques. Pour Birkhoff "il est évident que le premier problème concernant les propriétés des systèmes dynamiques est la détermination des mouvements centraux". 879

Cependant, les théories de Birkhoff sont plus opérantes dans le cadre des systèmes à deux degrés de liberté, que dans ce cadre très général. La raison essentielle tient au fait qu’il a démontré la possibilité de faire des sections transverses dans ce cas particulier, qui simplifient considérablement l’analyse de la dynamique en permettant de s’appuyer sur les transformations planes, dont il a produit plusieurs analyses.

Le Dynamical Systems de Birkhoff, s’il est considéré comme un achèvement de la vie scientifique de ce mathématicien, n’en est pas pour autant un testament. Birkhoff continue de travailler sur les systèmes dynamiques bien après 1927. Avec Paul Smith, ils précisent les transformations (homéomorphismes) des surfaces, leur structure, les comportements asymptotiques des points de la surface sous l’itération de la transformation. Les points récurrents, mouvements centraux, points homoclines sont les moyens utilisés pour l’analyse. On notera que cet article donne la première définition de "transitivité métrique", base de nouvelles considérations sur l’ergodicité, avec le théorème ergodique de Birkhoff 880 .

L’aboutissement véritable du travail de Birkhoff sur les systèmes dynamiques est son article "Nouvelles recherches sur les systèmes dynamiques" publié en 1935, en français. Il est de première importance dans cette histoire. D’après Morse, c’est le point d’orgue de la théorie qualitative de Birkhoff 881 . Le traitement qualitatif est parachevé par la construction d’une classification symbolique des dynamiques possibles, appelée signature. Schématiquement, un système dynamique est caractérisé topologiquement par sa signature. En reprenant les mots de Morse : "Pour Birkhoff, une telle signature est la description qualitative ultime d’un système dynamique" 882 . En outre, Birkhoff déploie tous ses outils mathématiques pour parvenir à cet objectif.

Birkhoff procède à une étude très complète des voisinages des orbites elliptiques, puis des orbites hyperboliques, grâce à une surface de section S et la transformation T associée. Ce sont les points hyperboliques qui servent à introduire la classification symbolique des trajectoires du système dynamique.

Il s’intéresse d’abord au voisinage étendu d’un point hyperbolique, c’est-à-dire à l’aire prise entre le point P hyperbolique et un point homocline Q :

Birkhoff montre alors la propriété suivante, qui conclut la construction de sa suite de symboles :

‘"il existe au moins un point P de QRST qui ne sort jamais de la région annulaire, qui se trouve en QRST après m itération de T-1, après l itérations de plus, ..., et en même temps dans QRST après m’ itérations de la transformation inverse T, après l’ itérations de plus, .... Ici m, l, p,..., m’, l’, p’...sont des entiers arbitraires (≥k). ’ ‘Désignons l’ensemble fermé des points P de cet espèce par le symbole doublement infini’ ‘[...m, p, l, m, m’, l’, p’...].’ ‘[...] De tels symboles arithmétiques sont bien adaptés à la discussion de tous les points qui restent toujours dans le voisinage étendu du point fixe ; ils ressemblent un peu aux symboles effectivement introduits par Hadamard dans son étude remarquable des géodésiques sur certaines surfaces ouvertes de courbure totale négative." 883

Cette représentation symbolique donne déjà des propriétés remarquables :

‘"Il paraît donc que tout système dynamique non intégrable qui admet une seule solution homocline de cette espèce, doit admettre une hiérarchie presque inconcevable de solutions dans le voisinage étendu correspondant. Parmi ces solutions signalons les suivantes : ’ ‘(1) Les solutions périodiques rattachés aux symboles périodiques quelconques.’ ‘(2) Les solutions asymptotiques à de telles solutions périodiques, quand le temps croît (ou décroît), dont le symbole infini se termine (ou commence) avec une suite périodique arbitraire correspondante.’ ‘(3) Les solutions récurrentes dont le symbole est récurrent, c’est à dire tel que chaque suite de n entiers (n arbitraire) dans le symbole, se trouve au moins une fois dans toute suite de N entiers du symbole. [...]" 884

Enfin,

‘"Remarquons en conclusion que notre étude nous montre l’existence nécessaire d’un nombre infini des solutions homoclines (1). Par conséquent nous pouvons obtenir beaucoup d’autres solutions voisines, en partant d’autres solutions homoclines qui appartiennent à la même solution périodique." 885

Le symbolisme est ensuite étendu à plusieurs points fixes hyperboliques joints par l’intermédiaire de points hétéroclines, avant d’aboutir à sa "théorie générale des solutions" qui est l’apothéose du mémoire de 1935. Le cas général se construit sous trois hypothèses :

‘"(1) le système considéré est transitif dans l’espace S3 ’ ‘(2) il admet une surface régulière de section S2 ’ ‘(3) il admet au moins une solution périodique, mais il n’y a pas des solutions e-périodiques [périodiques de type elliptique] dégénères" 886

Le raisonnement général peut se résumer en quelques mots 887 . Sous ces hypothèses, Birkhoff montre qu’il "existe toujours un nombre infini des points fixes hyperboliques de T k " 888 . Tout l’intérêt de ce résultat est de faire des points fixes hyperboliques un instrument de caractérisation de T , ce que Birkhoff a entrepris.

Sur la surface de section S2, les courbes invariantes autour d’un point fixe hyperbolique P sont réparties en une branche-α E α (P) et branche-ω E ω (P), selon que les points convergent vers P par T ou T -1 . Birkhoff montre que (avec ses hypothèses) on peut prolonger analytiquement les branches d’un point fixe hyperbolique, de telle manière qu’elles soient denses dans S 2 .

Birkhoff distingue ensuite l’ensemble K de tous les points fixes et de toutes les branches α et ω des points hyperboliques, de l’ensemble de tous les autres points. Dans l’hypothèse de transitivité métrique, plus forte que l’hypothèse (1), K est de mesure nulle. Les autres points, qui forment donc l’"essentiel", sont groupés en des ensembles Σ Q définis de la manière suivante : pour Q un point de cet ensemble, c’est-à-dire hors de K (i.e. un point qui n’appartient à aucune branche E α (P) ou E ω (P)), Σ Q est l’ensemble connexe maximal contenant Q mais aucun point de K.

Les solutions des ensembles Σ Q sont appelées "isomorphes" car les ensembles ont des propriétés remarquables : ils sont indépendants des points P parmi les points hyperboliques, ils se transforment les uns en les autres sous l’action de T (par exemple :

Pour finaliser la caractérisation, Birkhoff utilise un point fixe hyperbolique, dont les branches E α (P) et E ω (P) forment un réseau dense dans S 2 . Ce réseau est spécifié par une "signature", un symbole à deux dimensions, permettant de caractériser les entrelacements de E α (P) et E ω (P), donc le réseau. Dans le cas dit "régulier" où les Σ Q se réduisent au seul point Q, "probablement le cas général" 889 , Birkhoff parvient ainsi à la conclusion :

‘"...deux systèmes dynamiques réguliers seront topologiquement équivalents quand ils admettent la même signature Ѕ et seulement en ce cas." 890
Notes
871.

[BIRKHOFF, G.D., 1927a]. Une partie de l’ouvrage correspond à des lectures données devant l’American Mathematical Society en 1920 ; Birkhoff a choisi d’en développer certains points avant de les faire publier (Préface de Birkhoff).

872.
Birkhoff construit des séries de transformations formelles des systèmes Hamiltoniens, puis pour des systèmes Pfaffiens, qui possèdent un point d’équilibre "généralisé" à l’origine, de manière à réduire le système à un Hamiltonien H(p,q) sous forme d’une série de produits p i q i , commençant par la somme
[BIRKHOFF, G.D., 1927a], Chapitre III (dans les pages 78-96, Birkhoff établit successivement le résultat précédent pour les systèmes Hamiltoniens, puis Pfaffiens).
873.

Ce résultat est montré dans [BIRKHOFF, G.D., 1927a], p. 105-106, sur la base de la réduction aux formes normales. La stabilité ordinaire, ou naturelle ou encore du premier ordre, correspond au cas où les λj précédents sont imaginaires purs. La stabilité complète, ou trigonométrique est plus sophistiquée.

Pour un système dx/dt=X(x,t) (en dimension n), un intervalle de temps T, f un entier quelconque, P s (x,t) un polynôme à coefficients analytiques et périodiques en t et de plus bas degré s. Le système est stable complètement lorsqu’il est possible, pour tout e>0 d’approcher P s , pour des temps inférieurs à T, avec une erreur plus petite que Me m+s par une somme trigonométrique de type :

(k i -k j >k>0, k 0 =0) où M, N, k sont des constantes dépendants uniquement de m et P s . Voir [BIRKHOFF, G.D., 1927a], p. 105
874.

"An outstanding question in dynamics is whether or not the complete formal stability of a periodic motion of stable type assures stability in the fundamental qualitative sens defined above.", [BIRKHOFF, G.D., 1927a], p. 227 (section "The problem of stability").

875.

Ibid.

876.

Les points errants (‘wandering" en anglais) d’un système dynamique (correspond à un espace des états M) sont definis ainsi : "The set W of wandering point of M is made up of curves of motion filling open n-dimensional continua. The set M1 of non-wandering points of M is made up of the complementary closed set of curves of motion.", [BIRKHOFF, G.D., 1927a], p. 191.

877.

Birkhoff en donne une définition simplifiée : "central motions are those which recur infinitely often near any particular state of the motion, or at least have such motions in the infinitesimal vicinity of any state", [BIRKHOFF, G.D., 1941], p. 710.

L’ensemble des mouvements centraux est construit par itération du processus suivant : à partir de l’ensemble M 1 des points non-errants de M, on recherche les points errants relativement à M 1 (au lieu de M) qui constituent un ensemble M 2 . Une cascade d’ensembles (inclus les uns dans les autres) M 1 , M 2 …M i aboutit à un ensemble terminal M r , l’ensemble des mouvements centraux. [BIRKHOFF, G.D., 1927a], p. 190-5.

878.

Les systèmes Hamiltoniens en question, ont surtout la propriété de posséder un invariant intégral naturel, ce qui a permis à Poincaré de montrer que le mouvement d’un tel système dynamique revient infiniment souvent, infiniment près de sa position initiale (cf. p. 50). En outre, les mouvements centraux ont la propriété de "récurrence régionale" car il n’y a pas de points errants dans l’ensemble des mouvements centraux.

879.

"[…] it is obvious then that a first problem concerning the properties of dynamical systems is the determination of the central motions.", [BIRKHOFF, G.D., 1927a], p. 197.

880.

"A transformation will be called metrically transitive if there exists no measurable invariant set E such that 0<m(E)<m(S). A transition of this type is also transitive in the ordinary sense; that is, for any two mutually exclusive connected regions α and ß, some power of T can be chosen which will carry points of α into points of ß", [BIRKHOFF, G.D., SMITH, PA.., 1928], p. 365-66. Pour les problèmes concernant l’ergodicité nous renvoyons au chapitre 7, p. 451.

881.

[MORSE, M., 1968], p. xlvi : "This qualitative theory culminates in the paper [33] 130 pages long, crowned by the Pontifical Academy. This paper resumes and extends much of Birkhoff’s earlier’ dynamical theories. Upon finishing this work Birkhoff commented to the author that it was an exhausting task."

882.

"For Birkhoff such a signature is the ultimate in the qualitative description of a dynamical system", [MORSE, M., 1968], p. xlvii.

883.

[BIRKHOFF, G.D., 1935b], p. 184 (sic.). Le P de la propriété ne doit pas être confondu avec P le point hyperbolique.

884.

[BIRKHOFF, G.D., 1935b], p. 184

885.

[BIRKHOFF, G.D., 1935b], p. 185. La note (1) fait référence au fait que Poincaré en a montré autant dans le cas du problème des trois corps.

886.

[BIRKHOFF, G.D., 1935b], p. 187. Ces hypothèses sont destinées à écarter des cas non élucidés par Birkhoff. La troisième renvoie directement au fait mentionné en préliminaire au choix de ces hypothèses que "Dans notre théorie les solutions périodiques joueront le rôle central" (ibid., p. 187).

887.

Nous nous inspirons ici du résumé de M. Morse dans [MORSE, M., 1968], p. xlvi-xlvii.

888.

[BIRKHOFF, G.D., 1935b], p. 195.

889.

[BIRKHOFF, G.D., 1935b], p. 200.

890.

[BIRKHOFF, G.D., 1935b], p. 212. Dans le cas irrégulier, la situation est moins probante : les systèmes étant analysé sur la base des ensembles Σ Q , ils seront "Σ-équivalents".