Conclusion : les systèmes dynamiques par Birkhoff

Morse résume bien les tendances marquantes de l’évolution du travail de Birkhoff :

‘"Après vingt et un ans les problèmes restent essentiellement les mêmes, mais l’approche et en particulier son langage sont devenus plus topologiques et plus abstraits. Les ‘flots conservatifs’ doivent être étudiés dans le sens topologique et statistique, et la théorie variationnelle abstraite doit y pénétrer." 891

En effet, Birkhoff est parti de l’étude des équations différentielles telle que Poincaré l’a laissée, avec son point de vue géométrique, pour transformer l’étude de ces systèmes dynamiques, en une perspective plus topologique, laquelle inclut les résultats de Poincaré, y compris les plus spectaculaires à propos des orbites homoclines. Le texte de 1935 est le travail le plus achevé en la matière. Birkhoff analyse également les systèmes dynamiques de manière plus abstraite, selon une dynamique formelle, et introduit de nouveaux concepts de mouvements, récurrents et centraux.

Birkhoff, à la différence de Poincaré, ne fait quasiment aucune concession à l’analytique sur les systèmes dynamiques 892 . Le qualitatif est porté encore plus haut que ce qu’a produit Poincaré, grâce à la topologie, grâce aussi à l’utilisation d’une description symbolique, dont on verra, avec les travaux de Smale, qu’elle est tout à fait remarquable.

Par ailleurs, Birkhoff est resté célèbre pour son théorème ergodique démontré en 1931. Il se place là encore dans la lignée de Poincaré, et de son théorème de récurrence en particulier. Cet aspect remarquable sera discuté ultérieurement 893 , dans le cadre des questions d’ergodicité justement. Son intérêt pour la question de l’ergodicité est à rapprocher de ses positions sur la dynamique en physique, peu connues, mais qui participent de son intérêt constant pour les systèmes dynamiques. Birkhoff défend l’idée que les théories physiques doivent être dynamiques 894 , et de manière idéale, conçues sous forme d’équations différentielles 895 . Birkhoff est réticent à la Mécanique quantique qui se développe entre les deux guerres et n’est pas encore une théorie achevée pour lui ; il n’existe pas de support conceptuel satisfaisant à l’équation de Schrödinger d’après lui 896 . Birkhoff pense les théories physiques en rapport avec les théories classiques, comme la Mécanique, et propose des alternatives dynamiques à la théorie atomique, qui prennent en compte l’espace-temps 897 . Ainsi, avec la théorie ergodique, il s’agit de donner une base dynamique à la Mécanique statistique. Philosophiquement, on peut affirmer que Birkhoff est proche de Poincaré et du déterminisme dominant au XIXème siècle.

D’une certaine manière, Birkhoff a également contribué à autonomiser le sujet des mathématiques des systèmes dynamiques : Poincaré était versé dans les équations différentielles générales avant de se focaliser sur les problèmes de la Mécanique céleste (le problème des trois corps surtout) ; Birkhoff, même s’il s’inspire des exemples de la Mécanique classique et travaille essentiellement sur la dynamique Hamiltonienne, pousse le sujet "hors" de la Mécanique. Cette catégorisation ne renvoie pas à une distinction entre les "sciences mathématiques" et les "sciences mécaniques". Nous entendons par là que les scientifiques susceptibles de prolonger les théories de Birkhoff ne seront plus des mécaniciens, mais des mathématiciens avant tout, du fait du très haut niveau de mathématisation atteint par la théorie de Birkhoff. La théorie des systèmes dynamiques est en train de s’autonomiser et sera renforcé en ce sens par les travaux de Smale.

Notes
891.

"After a laps of twenty-one years the problems remain essentially the same, but the approach and particularly that language of approach has become more topological and abstract. ‘Conservative flows’ are to be studied both in the topological and the statistical sense, and abstract variational theory is to enter. ", [MORSE, M., 1968], p. xlviii-xlix.

892.

Il fait une incursion limitée dans le quantitatif dansun mémoire sur le problème des trois corps : [BIRKHOFF, G.D., 1935a].

893.

Au chapitre 7, dans les paragraphes consacrés aux théorèmes ergodiques, page 451.

894.

Dans son hommage à Joseph Larmor, il insiste beaucoup sur l’aspect dynamique des théories de Larmor, et semble même attaché à l’idée d’"éther" (il encense l’ouvrage de Larmor Aether and Matter). "Larmor grew to scientific maturity at a time when every attempt was being made to explain all physical phenomena on a dynamical or at least a quasi-dynamical basis, involving the concepts of absolute space (the ether), of absolute time and simultaneity […] Under the impact of the radical new theories [Quantum Mechanics and General Ralativity], Larmor refused to abandon without further consideration the classical point of view which had served so well." (p. 887-8). Birkhoff semble en bon accord avec les idées de Larmor. [BIRKHOFF, G.D., 1943].

895.

Nous citons in extenso un paragraphe de "The Mathematical nature of physical theories", de 1944, pour résumer les positions de Birkhoff (on peut trouver les mêmes idées dans "Electricity as a fluid" [BIRKHOFF, G.D., 1938]). Après un développement historique-philosophique sur la mécanique Newtonienne, il discute des nouvelles théories physiques :

"In the first place, all of these theories, except that of quantum mechanics, employ a selected four-dimensional framework of space and time which is to serve as the stage for the interaction of matte rand electricity […] The laws which are postulated generally lead to one or more ordinary or partial differential equations, so that finally the basis of all theory turns out to be a set of differential equations – the diffrential equations of the physical universe !

Whether or not quantum mechanics, in which space and time only function as preliminary scaffolding, can be accommodated within such a framework remains to be seen. […] it is suggested that the fundamental Schrödinger equation may amount to genial formalistic conjecture, yet to be justified.

[…] In the final quantum-mechanical phase of today there is a mystical employment of variational principles and optical analogies of classical type in order to pass directly from the approximate dynamical interpretation of the atom (proton and electrons) to the corresponding wave equation of Schrödinger. […] But nothing, it seems to me, is more evident than that the method proposed for making theses calculations has not yet been properly placed in a wider scheme of the universe as a whole. In fact I believe that there is a definite possibility of using electromagnetic space-time for this purpose. This possibility should be studied most carefully" [BIRKHOFF, G.D., 1944], p. 915-918.

896.

Voir notamment "Some remarks concerning Schrödinger’s wave equation" ([BIRKHOFF, G.D., 1933]) et la note précédente (n° 895).

897.

Voir note précédente. Birkhoff considère un système atomique (proton-électron) et en étudie les oscillations, avec les méthodes des systèmes dynamiques. L’idée la plus porteuse est exprimée en terme de mouvements centraux : [BIRKHOFF, G.D., 1926], p. 294.