Le Congrès International des Mathématiciens, 1962

L’exposé de Smale n’est pas un exposé de mathématique, donnant un résultat abouti, démontré dans les règles de l’art. En premier lieu, il redéfinit la question des systèmes dynamiques. Pour Birkhoff, un système dynamique n’était autre qu’une équation différentielle. Avec Smale, le problème s’élargit considérablement : l’étude des équations différentielles est absorbée dans l’étude des difféomorphismes. Il justifie cette subordination au "problème de conjugaison pour les difféomorphismes" 969 . Le texte de 1967 explicite ce projet, dans une version plus aboutie : outre l’utilisation des sections transverses qui ramène un problème différentiel à des difféomorphismes,

‘"je crois qu’il y a une seconde raison plus importante pour étudier le problème des difféomorphismes (mis à part la grande beauté naturelle). Les mêmes phénomènes et problèmes de la théorie qualitative des équations différentielles ordinaires sont présents dans leur forme la plus simple dans le problème des difféomorphismes." 970

Ces systèmes dynamiques incluent ainsi les équations différentielles et les applications, difféomorphismes et homéomorphismes. La stabilité structurelle est redéfinie pour tous ces systèmes. Le projet de fond est de trouver un ensemble ouvert dense de difféomorphismes : c’est le "problème de conjugaison" 971 .

Son intervention de 1962 montre sa démarche : Smale procède par tâtonnements et tests pour obtenir cette classe de systèmes. Il cherche les "bons" axiomes, en espérant que les systèmes en question seront aussi structurellement stables et n’hésite pas à émettre des axiomes pour les critiquer ensuite 972 . Il présente ainsi sa démarche "constructive" qui annonce, d’une certaine manière, la définition de l’axiome qu’il considère comme central, et qu’il baptisera Axiome A.

Naturellement, Smale aborde la question de sa conjecture sur les systèmes dits Morse-Smale. Nous avons dit que le fer à cheval et les points homoclines ont été des arguments décisifs dans la négation de la première partie de la conjecture. Smale insiste sur la complexité engendrée par la présence des points homoclines et c’est à cette occasion qu’il rapporte la fameuse phrase de Poincaré : "on sera frappé de la complexité de cette figure..." 973 . Ensuite, il apporte un exemple de plus, un automorphisme du tore, 974 venant achever de ruiner sa conjecture.

Dans la discussion de ces exemples, Smale explique quel a été le cheminement et la succession de conjectures-démonstrations préalable à son exposé. Il révèle l’importance de sa rencontre avec quelques mathématiciens soviétiques bien connus : V. Arnold, D. Anosov, Y. Sinaï 975 .

Notes
969.

"It appears that usually a qualitative problem in differential equation has an analogue in the conjugacy problem. This analogue is a little simpler than the original, and if solved, its solution seems to give a way of doing the original problem.", [SMALE, S., 1962], p. 490.

970.

"I believe there is a second and more important reason for studying the diffeomorphism problem (besides its great natural beauty). That is, the same phenomena and problems of the qualitative theory of ordinary differential equations are present in their simplest form in the diffeomorphism problem.", [SMALE, S., 1967], p. 747.

971.

C’est le titre de son intervention au congrès des mathématiciens en 1962 "Dynamical systems and the topological conjugacy problem for diffeomorphisms", [SMALE, S., 1962]. Nous renvoyons à [PALIS, J., ], p. 171 ou [AUBIN, D., 1998a], p. 300-1.

972.

Dans son exposé il introduit cinq axiomes, avec des variantes, et en discute l’intérêt, les conséquences. [SMALE, S., 1962].

973.

En français dans le texte de Smale, [SMALE, S., 1962], p. 494. La citation plus complète a été donnée au chapitre 1, page 58.

974.

Un automorphisme du tore, un exemple dû à René Thom qui l’a suggéré à Smale ([SMALE, S., 1980], p. 151).

975.

Ce sont les trois noms qu’il donne dans la publication de son exposé : [SMALE, S., 1962], p. 494.