Quelques mathématiciens soviétiques

Il faut expliquer au préalable qu’en 1961, lors de la conférence internationale sur les oscillations non linéaires, organisée à Kiev, Smale a présenté son exemple du fer à cheval, en tant que système dynamique structurellement stable, avec une infinité d’orbites périodiques 976 . Il y a rencontré Dimitri Anosov, un des descendants de l’école d’Andronov ; puis, lors de sa visite à Moscou, il a fait la connaissance de Kolmogorov et Anosov l’a introduit auprès d’un groupe de mathématiciens "extraordinairement doués", comptant Arnold, Novikov et Sinaï 977 . Il a proposé plusieurs conjectures, dont il connaissait l’état d’avancement du côté soviétique par l’intermédiaire d’Anosov, présent au congrès de 1962. La première est que l’automorphisme du tore est structurellement stable : Smale en a lui même fait la démonstration et il a appris en 1962 qu’Arnold et Sinaï l’ont démontré. Anosov a démontré un théorème résolvant sa seconde conjecture, généralisant l’exemple précédent à plusieurs dimensions 978 .

Ces rencontres n’ont rien d’anecdotiques. Elles ont contribué à enterrer la première conjecture de Smale, mais, plus important encore, elles vont ouvrir la voie aux définitions proposées par Smale au sujet de la théorie hyperbolique. En outre, la réactivité des mathématiciens soviétiques, si elle peut surprendre, n’a rien d’un hasard ; nous montrerons au chapitre suivant, comment ces problématiques sont inscrites dans un contexte, un peu différent, de théorie ergodique de la Mécanique classique et des systèmes dynamiques. Ceci expliquera l’intérêt et la portée des résultats de Arnold, Anosov et Sinaï.

Après l’abandon de la première partie des conjectures de 1960, Smale parvient à mettre un terme à l’ensemble en 1965. Il avait quelques doutes déjà en 1962 979 , et publie finalement la preuve que "les systèmes structurellement stables ne sont pas denses", titre de l’article en question 980 . La notion de stabilité structurelle est mise un peu à l’écart pour cette raison. Durant la période 1960-66, Smale a participé à la déconstruction de son projet, achevé par la démonstration que la stabilité ne peut pas régner. Mais il s’agit autant d’un mouvement de construction d’une théorie générale, dont le point d’orgue est l’article de 1967, "Differentiable dynamical systems". Smale en est la cheville ouvrière, utilisant les axiomes imaginés en conséquence des réfutations successives et les résultats suggestifs du mathématicien Anosov.

Notes
976.

Smale le raconte dans [SMALE, S., 1980], p. 150.

977.

"I must say I was extraordinarily impressed to meet such a powerful group of four young mathematicians. In the following years, I often said there was nothing like that in the West.", [SMALE, S., 1980], p. 151. Palis rapporte : "[…] in his own words, an extraordinarily gifted group of young mathematicians" [PALIS, J., 1993], p. 170.

978.

La démonstration de la première conjecture est [ARNOLD, V., SINAI, Y., 1962]. Le travail d’Anosov concerne le flot géodésique des variétés Riemanniennes, compactes, de courbure négative : [ANOSOV, D.V., 1962].

979.

Il semble que Smale suspectait que la seconde partie de sa conjecture était fausse dès 1962, [AUBIN, D., 1998a], p. 306.

980.

[SMALE, S., 1966].