6.4. Conclusion : Un retour sur les mathématiques de Poincaré

La constitution du champ des mathématiques des systèmes dynamiques est de quelques années antérieure à celle du champ du chaos. Quelques programmes et projets ambitieux ont donné les perspectives et ont assuré une certaine continuité dans l’extension mathématique. Les développements postérieurs à 1975 sont apparus, en conséquence, non pas comme des ruptures, mais comme des prolongements de ces considérations.

Le déroulement depuis Poincaré est cependant marqué par des ruptures et l’émergence de nouvelles conceptualisations mathématiques de la dynamique. Comme dans tout processus historique, des rencontres plus conjoncturelles ont doublé les grandes tendances et, en dépit de leur caractère très ponctuel, ont engendré des changements parfois profonds. Les mathématiques des systèmes dynamiques employés après 1975 sont le résultat de ces mutations ; les changements se poursuivent après 1971 et à travers l’épisode du chaos. Au plan des mathématiques, l’article de 1971 a eu, par exemple, pour effet d’orienter les recherches vers les attracteurs des systèmes 1048 .

La place importante qui leur est accordée tient à cette longue tradition, au réseau conceptuel, mais aussi social, qui s’est construit. Ainsi beaucoup de mathématiciens issus des systèmes dynamiques participent-ils de manière décisive à la constitution des problématiques du chaos : Ruelle, le premier, Bowen, Newhouse, Guckenheimer, Abraham et bien d’autres. La conférence sur les systèmes dynamiques, organisée par Cesari, Hale et Lasalle (école Lefschetz) en 1974 est aussi symbolique de cette présence : Li et Yorke annoncent les résultats du futur "Period three implies chaos" 1049 .

Sur le plan conceptuel, l’héritage des systèmes dynamiques est considérable. Fondamentalement, ces mathématiques apportent les outils utiles pour rendre compte des nouveaux rapports entre ordre et désordre, stabilité et instabilité, qui ont germé depuis les années 1960 et arrivent à maturité avec le chaos. Cependant ce cheminement ne se limite pas à des conceptions mathématiques car les problèmes de la Mécanique statistique, des oscillations non linéaires et diverses expériences numériques tentées sur ordinateur ont eu un rôle majeur. Ceci nous conduit à relativiser encore les travaux de Poincaré : ils sont au départ de ces mutations, mais de multiples facteurs les ont transformés, si bien que le cadre mathématique déployé dans les années 1970 n’est plus directement celui de Poincaré, mais une hyper-sophistication de ses idées.

Notes
1048.

L’article de Eckmann de 1981, bilan des scénarios de transition vers la turbulence nous le rappelle bien ([ECKMANN, J.P., 1981]). Nous renvoyons à l’étude plus complète du chapitre 5, en particulier à la page 368.Voir également [AUBIN, D., 1998a], p. 485.

1049.

[LI, T.Y, YORKE, J.A., 1974], sous le titre "The ‘simplest’dynamical system". Cf. chapitre 3, p. 175.