De la stochasticité au chaos

Aux Etats-Unis, avec J. Ford, la reconnaissance de l’instabilité et du théorème KAM prend donc la voie de l’expérience numérique. Les résultats généraux promus par les conceptions d’origine soviétique sont sublimés dans des systèmes plus simples, plus concrets, expérimentables, qui avaient suscité l’étonnement des physiciens. Prolongeant le théorème KAM, les idées en physique ont évolué considérablement : la non intégrabilité n’est plus synonyme d’ergodicité et ne s’oppose plus de manière dichotomique à l’intégrabilité. La stochasticité intègre les conceptions scientifiques occidentales, de manière encore restreinte, mais significative : les travaux de Chirikov sont exploités au niveau numérique, la stochasticité devient le "bon" ingrédient pour la Mécanique statistique. Les concepts de la théorie ergodique, comme les systèmes de Bernoulli, deviennent des archétypes dans la Mécanique statistique théorique.

Animateur du mouvement des théories de la stochasticité et du non linéaire auprès des physiciens aux Etats-Unis, Ford participe naturellement au bouillonnement de la fin des années 1970, dans le champ du chaos. Il est organisateur, avec le physicien italien Giulio Casati, de la première conférence internationale sur les questions de stochasticité en 1977. Le groupe organisé entre autres par Ford et Chirikov trouve son plein essor au moment où les problèmes stochastiques sont absorbés dans le champ du chaos, autour de 1980. Dans la continuité des années 1970, l’activité de Ford est caractérisée par une perpétuelle interrogation sur le hasard, prolongée dans le "chaos quantique", avec Chirikov. Il se définit alors lui-même comme un "évangéliste du chaos" prêchant la nouvelle parole, aux côtés de Paul Davies dans La nouvelle physique, par exemple 1222 .

Notes
1222.

Signalons simplement deux textes de Ford. Dans "How random is a coin toss ?" de 1981 Ford s’interroge sur la notion de hasard (et reprend à cette occasion la notion de complexité algorithmique de Kolmogorov) et sur les limites de la prédictibilité dans les systèmes chaotiques. Le texte correspond à un exposé donné dans un colloque organisé à Austin (Université du Texas) sous l’égide du groupe de Prigogine : [HORTON, C.W. Jr, REICHL, L.E., SZEBEHELY, V.G., 1983]. Le second texte s’intitule "Qu'est-ce que le chaos, pour que nous l'ayons à l'esprit ?" : c’est une réflexion épistémologique, sans prétention, mais qui souhaite mettre en valeur les spécificités du chaos, dans la perspective adoptée par Ford depuis les années 1970 ([FORD, J., 1989]).