David Ruelle et la théorie ergodique du chaos

David Ruelle a en effet débuté sa carrière comme physicien théoricien et il s’est engagé dans des recherches en physique statistique à la fin des années 1960. Il a notamment publié un ouvrage très remarqué en 1969 : Statistical Physics: Rigourous results 1223 . Dans le contexte de l’IHES, Ruelle s’intéresse au problème de la transition vers la turbulence, mais n’oublie pas la Mécanique statistique. Au contraire, dans la culture des systèmes dynamiques créée à l’IHES, il devient l’un des meilleurs spécialistes, au niveau international, de la théorie ergodique des systèmes dynamiques. Ruelle s’inscrit ainsi dans une double perspective historique : les mathématiques des systèmes dynamiques, développées par Smale aux Etats-Unis, et l’école soviétique de l’ergodicité et de la stochasticité, représentée en quelque sorte par Arnold, visiteur occasionnel de l’IHES. Alors que dans les années 1960 les travaux de Smale étaient orientés vers la dynamique, avec Ruelle cette perspective s’enrichit de Mécanique statistique, au cours des années 1970. Ruelle incarne d’une certaine manière les tendances mathématico-physiques discernées dans la culture de la stochasticité en URSS. 

Ses travaux se comprennent à la lumière de cette histoire brièvement résumée. Par exemple, le théorème ergodique pour les attracteurs Axiome A, établi en 1975 1224 en collaboration avec Rufus Bowen (issu de l’école Smale), s’inscrit dans cette perspective. De manière plus significative encore Ruelle réalise le processus de transfert de l’instabilité, de la sensibilité aux conditions initiales, des exposants de Lyapounov entre 1975 et 1977 : venues des préoccupations de Mécanique statistique et de systèmes stochastiques, ces notions intègrent la turbulence, les systèmes dissipatifs, le chaos. Cela ne doit pas occulter les problématiques plus centrées sur le démarrage de la turbulence et les instabilités hydrodynamiques, en voie de développement par ailleurs sur le plan théorique et expérimental, mais la perspective historique est incomplète sans ces développements concernant l’ergodicité.

Pour symboliser l’aboutissement dans les conceptions du chaos, rien ne paraît plus adéquat que l’article de Ruelle et Eckmann de 1985, dont le titre est sans ambiguïtés : "Ergodic theory of chaos and strange attractors" 1225 . Il cristallise les deux perspectives caractérisant la démarche de Ruelle (et Eckmann) au sujet du chaos : le point de vue des mathématiques des systèmes dynamiques (avec les attracteurs étranges) et le point de vue statistique (de la théorie ergodique). Il illustre par ailleurs le "paradigme" inauguré vers 1982, sur la base des idées de Ruelle et la synthèse proposée par Eckmann.

Notes
1223.

Comme le titre l’indique, il s’agit de résultats "rigoureux" : Ruelle développe le cadre mathématique de la mécanique statistique, laissant présagé de ses futures contributions en la matière. [RUELLE, D., 1969].

1224.

Outre les travaux antérieurs de Bowen, fortement impliqué sur le sujet, ils utilisent les résultats de Ya. Sinaï "Gibbs measure in ergodic theory" ([SINAI, Y., 1972]), qui apporte une composante moscovite à ces recherches.

1225.

[ECKMANN, J.P., RUELLE, D., 1985].