c. Les "auto-oscillations", en URSS

Dans le contexte de la Russie puis de l’Union Soviétique, une autre approche des systèmes non linéaires est née, connue sous le nom d’"école d’Andronov". En réalité, le premier scientifique russe ayant impulsé une culture du non linéaire est Leonid Mandelstam (1879-1944), maître d’Andronov. En particulier, avec N. Papalexi, Mandelstam a contribué à la théorie du multivibrateur et d’autres systèmes oscillants de l’électrotechnique 1247 . Mandelstam a fait ses études universitaires et a travaillé à Strasbourg, pendant plusieurs années (1899-1914), chez Karl Braun (1850-1918) lequel s’est intéressé lui-même aux problèmes de la TSF et aux circuits électriques oscillants 1248 . Selon Diner, Mandelstam s’était fait le champion d’une approche "vibratoire" de la physique et souhaitait la création d’une véritable "pensée physique non linéaire". Il va faire école à Moscou avec les physiciens Andronov, Vitt, Khaikin et bien d’autres 1249 .

Andronov, lancé sur les traces de Mandelstam, va faire un pas décisif et contribuer à l’émergence d’un nouveau "paradigme" pour les oscillations. En 1929, il reconnaît que les oscillations, comme celles de Van der Pol, correspondent, dans l’espace des phases, à un cycle limite de Poincaré, ouvrant ainsi la voie à l’utilisation des théories mathématiques de Poincaré, mais aussi de Lyapounov et Birkhoff. Selon Diner, Andronov va tout de suite attribuer un caractère très général à ces oscillations, baptisées "auto-oscillations", qui ont des propriétés particulières : l’amplitude et la fréquence des oscillations ne dépendent pas des conditions initiales, il n’y a pas besoin d’une excitation périodique extérieure, la dissipation est compensée par la source d’énergie extérieure, contrôlée par rétroaction 1250 . Une telle combinaison peut donner naissance à des phénomènes beaucoup plus compliqués que l’oscillateur harmonique et les oscillations de relaxation. Andronov, installé à Gorki à partir de 1931, cherche à développer et à promouvoir une théorie générale de ces oscillations : nous avons vu qu’une des particularités du pan théorique de cette activité mathématique tient à son caractère qualitatif.

L’ambition d’Andronov est difficilement comparable à celle de Van der Pol et l’aboutissement théorique de l’ouvrage Théorie des oscillations de 1937, n’a rien de commun avec les calculs de Van der Pol. Les analogies de Van der Pol semblent même plutôt timides à côté de la notion, voulue très générale, d’auto-oscillation. Le terme de paradigme n’est peut-être pas trop fort pour signifier l’importance de l’évolution. Cependant, ces analyses partagent un point commun incontestable : elles sont le fruit de scientifiques préoccupés de physique, de technique et de mathématiques. En résumé, il se construit en URSS, un paradigme des auto-oscillations, reposant sur des moyens théoriques associant qualitatif et quantitatif, et une vision du monde très éloignée du "monde linéaire". Dans la pratique, il est bien difficile d’évaluer la place du calcul et de l’analogie : les seules "archives" dont nous disposons se limitent à quelques publications éparses, et ce pôle de développement mériterait une vraie analyse historique et épistémologique. Cependant, vu la perspective de mathématiques très poussées, développée pour les systèmes dissipatifs, tout incite à penser qu’il existe une interaction très forte entre mathématique, physique et technique, à l’image de ce que feront Minorsky ou Vogel quelques années plus tard 1251 .

Notes
1247.

Ils continuent dans les années 1930, sur les oscillations de relaxation notamment, les démultiplications de fréquences et d’autres sujets : [MANDELSTAM, L., PAPALEXI, N., 1932].

1248.

Pour ces travaux, Karl Braun a eu le prix Nobel en 1909.

1249.

Voir [DINER, S., 1992], p. 339.

1250.

[ANDRONOV, A., 1929], p. 560. Voir [DINER, S., 1992], p. 340.

1251.

Nous abordons les analyses de Minorsky page 533, et celles de Vogel page 551.