c. 1942 : des "analogues dynamiques" à la théorie des oscillations non linéaires

Au regard de la correspondance avec Von Karman, 1941 est l’année où les théories de Minorsky se précisent. Au début de 1942, il intervient au Colloque de Physico-mathématique à l’Université Brown 1289 et produit un texte de synthèse, envoyé à Von Karman : "Mechanical integration of ordinary differential equations by means of dynamical analogues". C’est une étape importante dans l’évolution des intérêts mathématiques de Minorsky vers la théorie des oscillations. En effet, il existe un rapport direct entre les mathématiques des équations différentielles, utilisées par Minorsky, et les aspects théoriques de ses "analogues dynamiques". Si Minorsky a étudié les textes soviétiques (Andronov, Kryloff et Bogoliuboff), mais également Poincaré et Birkhoff, l’intérêt qu’il y voit est lié aux résultats espérés de ses calculateurs. Le texte poursuit l’idée que les calculateurs fournissent le portrait des équations mathématiques dans l’espace des phases . C’est ce qui motive Minorsky dans une problématique où se mêlent mathématiques et calcul analogique.

Prenons trois exemples : l’équation de Mathieu, l’oscillateur de Van der Pol et les points singuliers des équations différentielles.

Dans le premier cas, l’équation est assez simple et l’analogue dynamique a été construit. Minorsky résume en disant qu’en faisant varier les paramètres du dispositif "la gamme des solutions de l’équation de Mathieu avec des zones stables et instables, la périodicité, les exposants caractéristiques, etc. – peut être explorée expérimentalement" 1290 . L’expérience physique permet de calculer les propriétés mathématiques globales de l’équation : nous sommes au croisement du calcul analogique et des mathématiques de Poincaré.

Pour l’équation de Van der Pol, l’analogue doit être plus sophistiqué et Minorsky n’a pas construit la machine correspondante. Mais le principe et le résultat sont les mêmes : il est possible d’expérimenter l’équation généralisée de Van der Pol, en faisant varier les paramètres de l’hypothétique dispositif. Il reprend un exemple d’équation de Van der Pol tiré de l’ouvrage d’Andronov et Khaikin 1291 , dans lequel la démarche analytique montre qu’il y a un cycle limite de Poincaré. Cette démarche est "plutôt compliquée" 1292 au goût de Minorsky et il défend sa méthode permettant de tracer les solutions avec la possibilité de les reporter dans l’espace des phases 1293 . Minorsky maîtrise l’aspect mathématique du problème et présente son alternative, celle du calcul. Il critique donc le caractère abstrait, tout en étant dans le même esprit qualitatif.

Le chapitre sur les points singuliers est le plus nouveau, et ici les méthodes topologiques, reposant sur l’espace des phases sont davantage exploitées. La motivation de Minorsky est double : il sait qu’il s’agit d’un problème mathématiquement intéressant 1294 et surtout il imagine un moyen de les étudier concrètement. En effet, dans ses analogues dynamiques, un point singulier est un point d’équilibre du système 1295  : ils sont donc faciles à repérer, alors que les singularités sont les points d’achoppement de l’intégration par le "Differential Analyser" 1296 . En outre, le voisinage des points singuliers est délicat à étudier mathématiquement : avec les analogues de Minorsky il n’y a pas de difficulté particulière. Pour compléter son discours, il dresse l’ensemble des analogies entre les points singuliers, en deux dimensions, et les pendules.

Les mathématiques sont à la fois un but et un moyen pour Minorsky. Les analogues dynamiques visent à intégrer les équations différentielles, d’une part. D’autre part, les mathématiques qu’il apprend de Poincaré et d’Andronov, lui servent à affiner ses considérations et à les orienter.

En résumé, il se produit une convergence entre les mathématiques d’Andronov et les potentialités des analogues dynamiques de Minorsky. Les mathématiques abstraites de Poincaré, l’espace des phases, le point de vue global, trouvent un pendant dans les analogues dynamiques et inversement. C’est la différence majeure avec la situation des années 1930 en Europe : entre 1940 et 1942, les interprétations d’Andronov coïncident avec les intérêts de Minorsky. Son calcul analogique permet de rendre opérationnelles les méthodes topologiques car il est "global" par essence. Il faut, bien sûr, mettre en perspective ces réflexions sur le calcul et les mathématiques, avec les questions du non linéaire intéressant Minorsky.

Notes
1289.

Le 16 janvier 1942. Lettre de N. Minorsky à Von Karman, du 22 janvier 1942.

1290.

"[…] the range of solutions of the Mathieu equation with stable or unstable zones, periodicity, characteristic exponents, etc. – can easily be explored experimentally in this case.", Note de Minorsky de 1942, p. 14 (Correspondance avec N. Minorsky, archives Von Karman, n° 20.34).

1291.

Ibid., p. 30-31 : "Differential equation of a thermionic generator with inductive coupling between the anode and the grid circuits".

1292.

"The oscillation approaches in this case the limit-cycle of Poincaré but the analytical method is rather complicated.", Ibid., p. 30.

1293.

Il n’emploie pas le terme "espace des phases", mais, d’après ce qui suit, il n’y a pas de doute qu’il a cette notion en tête.

1294.

C’était le sujet principal du premier article de Poincaré sur les équations différentielles du plan, en 1881. [POINCARE, H., 1881].

1295.

"In this manner the points of equilibrium of a dynamical system are indicative of the corresponding singular points of the differential equation determining the motion of that system." (avec quelques exceptions ajoute-t-il), Note de Minorsky de 1942, p. 34 (Correspondance avec N. Minorsky, archives Von Karman, n° 20.34).

1296.

D’après Minorsky, Bush lui-même a reconnu cette difficulté, ibid., p. 49.