f. Minorsky, un relais pour la théorie des oscillations non linéaires

Minorsky a donc su remarquer, reprendre et amener à la connaissance des mathématiciens et des ingénieurs, ce qui, dans les années 1930, avait été écarté. L’impulsion qu’il a donnée a été décisive. Lefschetz, qui a travaillé un an avec Minorsky 1307 , participe aux développements mathématiques aux Etats-Unis. On peut également signaler que Levinson est dans le même courant : il travaille au MIT et il s’est lancé dans les problèmes non linéaires avec le texte de Von Karman 1308 .

Dans la lignée de Van der Pol et Andronov, Minorsky est physicien, ingénieur et mathématicien. Sans cela, il n’aurait pas saisi les spécificités du non linéaire, développé ses analogies et analogues dynamiques, et ne se serait pas intéressé aux méthodes mathématiques soviétiques. Dans son ouvrage de référence, il a su également mettre de côté ses analogues dynamiques pour livrer l’essence des méthodes qualitatives.

En outre, Minorsky a une pratique de plusieurs domaines, de l’électricité à la Mécanique. Il a su dépasser les frontières disciplinaires, par le biais des analogies et comprendre que les méthodes mathématiques sont adaptables dans tous ces domaines. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce qu’il défende une double conception des mathématiques appliquées : les mathématiques pour un problème donné (mathématiques "verticales") et les méthodes mathématiques utilisables dans plusieurs problèmes, dont la Mécanique non linéaire est un bon exemple (mathématiques "horizontales") 1309 . Dans son ouvrage de synthèse, il est résolument dans les mathématiques "horizontales".

Retraité en 1950 1310 , il est certain qu’il continue à s’intéresser à la Mécanique non linéaire, hors du contexte de la Marine 1311 . Ce sera le début d’une correspondance suivi avec un scientifique français : en effet, il se retire dans le sud de la France (vers Aix-en-provence) et entre en contact avec le physicien Théodore Vogel, du CRSIM (laboratoire propre du CNRS), qui développe la théorie des oscillations non linéaires.

Notes
1307.

Lefschetz est mentionné dans une lettre de N. Minorsky à Prager, Brown University, en septembre 1944 (archives Von Karman : la lettre est envoyée à Von Karman à propos d’un problème tout autre). Il est remercié dans l’ouvrage de 1947 (aux côtés d’un certain nombre d’autres collaborateurs dont l’histoire n’a pas retenu le nom).

1308.

Voir les textes de Levinson ([LEVINSON, N., SMITH, O.K., 1942], [LEVINSON, N., 1943 / 1944]) et [CARWRIGHT, M.L., 1952], p. 87.

1309.

Lettre de N. Minorsky au Professeur Prager, du 4 septembre 1944 (disponible dans les archives de Von Karman).

1310.

Après avoir obtenu un poste de professeur au département "Engineering mechanics" à l’Université de Stanford en Californie, en 1947.

1311.

La politique scientifique américaine en 1945, après le projet Manhattan, change d’orientation. La Marine elle-même, comme le dit Minorsky, considère que le travail sur la stabilisation des navires ne nécessite plus les services de Minorsky. C’est pourquoi il prospecte pour une nouvelle activité : il contacte Bush, rédacteur du rapport "Science, the endless frontier" déterminant dans la politique scientifique d’après guerre, pour obtenir un poste de contact avec les sciences étrangères. Plutôt que cette position, qui aurait exploité sa grande culture technique et ses capacités linguistiques, le poste à Stanford lui est offert. On peut faire l’hypothèse que Von Karman, implanté en Californie, au Caltech, (et qui est sollicité par Minorsky pour obtenir un poste universitaire, Lettre de N. Minorsky à Von Karman du 27 mars 1946, Archives Von Karman) a fait jouer ses relations.