a. Théodore Vogel (1903-1978)

Th. Vogel est né à Breditchev, en Ukraine, en 1903 et issu d’une famille juive. Il arrive en France en 1914. Ses études se font au lycée d’Avignon, à la faculté des Sciences de Marseille puis à l’Ecole Supérieure d’Electricité. De 1924 à 1933 il travaille à l’électrification en Palestine, dans le laboratoire de la Palestine Electric Corporation, puis il devient ingénieur de recherche à la Compagnie des Compteurs de Montrouge de 1934 à 1940. Vogel travaille en électronique, sur les tubes cathodiques et les systèmes de télévision. Pendant ces quelques années, il entreprend de compléter sa formation en mathématiques et physique théorique, en suivant les cours des illustres Léon Brillouin et Louis de Broglie, en particulier.

A l’approche de la guerre, il participe activement à la mobilisation scientifique, en travaillant régulièrement aux laboratoires de Bellevue 1331 . Il semble que son intérêt pour les oscillations de relaxation naisse à ce moment là. En 1940, il se familiarise avec les oscillations non linéaires 1332 , puis, contraint à la clandestinité pendant la guerre, il poursuit en autodidacte 1333 . Il a un intérêt tout particulier pour Henri Poincaré, dont il considère qu’il a été à tort délaissé. Durant la guerre, il a ainsi recopié intégralement, à la main, les trois volumes des Méthodes Nouvelles de la Mécanique Céleste 1334 .

Il maîtrise autant d’éléments de mathématiques que de physique sur les oscillations non linéaires. Ainsi, sa courte note d’octobre 1942 1335 intitulée "Note sur un aspect de la politique de la recherche scientifique en France" 1336 où il montre qu’il est très intéressé par les questions d’organisation de la recherche, fait état de ses préoccupations à propos des oscillations non linéaires. La note montre que Vogel connaît très bien le sujet, il a recensé les publications (il en dénombre 200), affirme que "les bases mathématiques en ont été jetées par Henri Poincaré, vers 1890" et développées, depuis les travaux de Van der Pol et Appleton. Il annonce aussi :

‘"ses applications dont on ne peut encore qu’entrevoir l’étendue, comprennent les problèmes les plus actuels des techniques des télécommunications et de détection par échos (détection électromagnétique des avions, des icebergs, etc.)" 1337

ce que nous appelons RADAR, et nous renvoie aux travaux de Cartwright et Littlewood ces mêmes années.

A la fin de la guerre (dès octobre 1944) il se rend à Marseille et se propose comme bénévole pour faire de la recherche au CRSIM, laboratoire propre du CNRS dirigé par François Canac, puis rentre au CNRS en qualité d’Attaché de Recherche en juillet 1945 1338 , désirant s’écarter du monde de l’industrie 1339 . Sous la direction de Canac et de Joseph Pérès, il travaille à une thèse liant Mécanique et acoustique (achevée en 1947), en parallèle à des questions d’acoustique pour l’aviation. Il est déjà considéré par Canac comme un "sujet exceptionnel" 1340 .

En résumé, Vogel a des compétences scientifiques très étendues en ingénierie électrique, en Mécanique et acoustique, en mathématiques (des équations différentielles en particulier), en physique plus généralement et un intérêt toujours marqué par les oscillations non linéaires 1341 . Il faut ajouter qu’il a un attrait particulier pour le calcul scientifique. En 1948, le colloque international du CNRS sur les "Méthodes de calcul dans des problèmes de mécanique" est organisé à Paris et Marseille. La présence de Vogel nous montre son intérêt pour le sujet et son intervention 1342 illustre ses dispositions pour les mathématiques appliquées. Vogel est à l’initiative, avec Jacques Valensi, de la constitution d’un laboratoire de Calcul Numérique à la Faculté 1343 . Rappelons, en outre, que dans les années 1930, à la Faculté de Marseille, les physiciens Joseph Pérès (directeur de la thèse de Vogel) et Lucien Malavard, avaient inauguré le calcul par analogies électriques 1344 . Vogel est en contact privilégié avec ces deux spécialistes, dont le second dirige le Centre de Calcul Analogique, au sein de l’Institut Blaise Pascal. Il est donc familier de cette pratique de calcul qui consiste à créer des "méthodes expérimentales de résolution, basées sur le fait que des problèmes très divers des différentes branches de la physique sont régis par des équations identiques" où "le calcul numérique est alors remplacé par des mesures" 1345 .

Notes
1331.

A la mobilisation en 1939, Vogel participe aux recherches conduites à l’ONRSI (Office National des Recherches Scientifiques et Industrielles et des inventions), à Bellevue (Archives personnelles de Th. Vogel, 46 ii 37, Agenda 1939. Voir également 46 ii 55, Note Personnelle, liste de publications en rapport avec la Défense Nationale, travaux effectués en 1939-40).

1332.

Les archives montrent qu’il commence à rassembler systématiquement les articles sur le sujet, au moins à partir de décembre 1939. Archives personnelles de Th. Vogel, 46 ii 37 (note manuscrite de Vogel).

1333.

Ses thèmes privilégiés sont les mathématiques, les oscillations non linéaires (dont les travaux de Van der Pol), l’électronique (les tubes cathodiques et la télévision), le repérage par le son, la mécanique quantique et plus généralement la physique mathématique.

1334.

Les trois cahiers sont disponibles dans ses archives personnelles. Il a aussi copié la Théorie des quanta de Brillouin et Theory of Sound de Lord Rayleigh. Archives personnelles de Th. Vogel, 46 ii 39.

1335.

Concernant Vogel dans la période 1939-1944, les archives sont pratiquement inexistantes, ceci est dû évidemment à sa situation de clandestin.

1336.

Cette note est une proposition pour dynamiser la recherche française dont l’essentiel est son idée de créer des séminaires et des équipes de recherche jeunes, dont le choix des sujets serait laissé à la compétence d’un conseil de savants. Archives personnelles de Th. Vogel, 46 ii 24.

1337.

Ibid., paragraphe 6.

1338.

Archives personnelles de Th. Vogel, 46 ii 55, Note Personnelle.

1339.

Comme il l’affirme lui-même : "depuis la Libération, dégoûté de l’industrie, je fais de la Recherche, travail qui me passionne". Archives personnelles de Th. Vogel, 46 ii, Lettre du 29 avril 1946.

1340.

Archives personnelles de Th. Vogel, 46 ii 55, Lettre de Canac au directeur du CNRS, 12 juillet 1945.

1341.

Il correspond avec Yves Rocard, qu’il considère comme une autorité en la matière. Archives personnelles de Th. Vogel, 46 ii 54.

1342.

Il intervient sur "le problème aux vibrations propres et la méthode de l’escalier", [CNRS, 1948], p. 35-39.

1343.

Il est sollicité par Valensi pour en prendre la responsabilité, mais ne semble pas l’avoir accepté. (Archives personnelles de Th. Vogel, 46 ii 55, lettre de Valensi à Vogel du 25 novembre 1947). Nous ne connaissons pas le destin de ce laboratoire.

1344.

Nous renvoyons à l’intervention de Jacques Valensi dans les actes du colloque de 1948 : [CNRS, 1948], p. 7-10. Ces aspects de l’histoire du CNRS sont évoqués au chapitre 11, p. 652.

1345.

Ibid, p. 8.