Chapitre 9. L’ordinateur et les mathématiques expérimentales

Pour les analyses des phénomènes de chaos dans les années 1975-82, comme dans l’évolution de la théorie des oscillations, l’ordinateur, analogique ou numérique, joue un rôle primordial. Nous avons montré au chapitre précédent que l’intervention du calcul analogique n’est pas neutre. D’une part, le calcul a contribué directement à la théorie des oscillations, d’autre part, il a nécessité un travail d’appropriation, réalisé grâce au développement d’une pratique expérimentale et mathématique. La situation est similaire pour le calcul sur les machines digitales. Nous allons voir en effet, que si la simulation numérique devient courante à la fin des années 1970 dans le champ du chaos, elle a son histoire : une réflexion et une pratique se sont développées après la seconde guerre mondiale, conduisant à l’"expérimentation numérique", dont on verra les différences avec les expériences mathématiques analogiques. Plusieurs scientifiques ont participé à ce mouvement. En premier lieu nous singulariserons Michel Hénon, dont la sensibilité de physicien se trouve au cœur de l’approche du calcul et s’est fructifiée dans ses travaux de 1964 (modèle de Hénon-Heiles) et 1976 (attracteur de Hénon). Ensuite, nous nous proposons d’analyser les travaux de Stanislaw Ulam, en particulier ceux concernant les transformations non linéaires, sujet du "Period three implies chaos" de 1975. Son influence a été beaucoup plus générale et c’est avec lui que la notion d’expérience mathématique s’est transformée, sur la base des idées de Von Neumann, pour construire une pratique très répandue. Enfin, si nous associons aujourd’hui l’"attracteur de Lorenz" et l’"effet papillon" au nom d’Edward Lorenz, ces notions masquent en réalité une démarche personnelle un peu reléguée dans l’oubli, combinant modélisation, simulation et les problématiques de la prévision météorologique.