a. Hénon et les calculateurs analogiques

Rappelons au préalable qu’en astronomie l’expérimentation directe est impossible. L’observateur n’a pas de prise sur les phénomènes et ne peut pas les reproduire. Le calcul numérique ouvre, a priori, une voie particulièrement intéressante. En outre, et contrairement à d’autres domaines avec la même impossibilité de principe, l’astronomie est une discipline déjà très mathématisée, reposant sur la Mécanique. Ceci forme l’arrière-plan des développements détaillés maintenant.

Hénon participe à la construction de plusieurs machines, mais principalement, il conçoit entièrement son propre calculateur 1404 , depuis l’étude théorique jusqu’aux analyses électroniques et expérimentales. La machine est construite en plusieurs étapes. Une première partie (dite "linéaire" par Hénon), concernant surtout les intégrateurs, est achevée dès 1956 ; la partie "non linéaire", réalisée durant l’année 1957, permet de faire des calculs complexes, grâce à la possibilité d’introduire des fonctions quelconques, par tables numériques, et de résoudre des équations différentielles 1405 .

En parallèle, il a achevé la mise au point du CAREDDOL (Calculateur Analogique pour la Résolution des Equations Différentielles du Deuxième Ordre Linéaires) au laboratoire de Physique de l’ENS en 1955 1406 . Il a dressé le plan d’une machine pour l’Institut d’Optique et d’une autre pour le calcul des indices complexes 1407 .

Les calculs sur sa propre machine commencent véritablement l’année 1957, pour quelques problèmes d’astronomie, puis des problèmes "classiques", de transformée de Fourier, de cristallographie, d’équations de Bloch (physique nucléaire) 1408 . Son calculateur est utilisé à des fins de résolutions numériques, mais pas uniquement. Il lui permet, par exemple, de chercher la meilleure représentation possible des équations de structure interne des étoiles 1409 .

Toute cette phase est importante, car elle forme et prépare Hénon à tous les aspects du calcul scientifique. Il connaît les problèmes pratiques de conception d’un calculateur. Mais plus que cela, il sait ce que signifie "faire un calcul" sur une machine analogique : c’est d’abord réaliser une expérience de physique, une mesure sur un dispositif électronique. L’opération n’a rien de banal, car la mise en place des dispositifs demande une analyse à la fois physique et mathématique des circuits électriques, et électroniques : il faut les concevoir, les calibrer, en tester la stabilité, en tirant profit du fait qu’ils sont eux-mêmes régis par certaines équations mathématiques 1410 . Hénon agit en physicien et le revendique. De même qu’il est physicien pour la conception des calculateurs, il est physicien dans leur utilisation. Ce sont plus que de "simples" calculateurs : ils permettent de faire des "expériences numériques", selon le terme utilisé plus tard par Hénon. Pour ne pas se tromper sur le sens de ce terme nous insistons et reprenons Hénon :

‘" Il est certain qu’on ne peut rien prouver, au sens mathématique du terme, par des calculs de ce genre. Ce travail est à ranger dans la catégorie des expériences numériques, qui à mon avis ont la même valeur, ni plus ni moins, que des expériences de physique." 1411

Lorsque Hénon emploie ces termes, il est dans une phase ultérieure de ses recherches, l’étude numérique, sur ordinateur digital, des transformations planes (en 1967 pour la citation). En fait, une fois sa machine achevée, il a mis de côté le calcul analogique pour utiliser l’IBM 750, calculateur digital, disponible à Meudon 1412 . Il ne construit plus de machines pour la recherche. Nous pensons que l’origine de cette perception du calcul, comme expérience de physique, se trouve dans sa sensibilité première pour le calcul analogique 1413 . Il faut ajouter qu’il ne fait que peu de différence sur ce point, entre analogique et numérique, ce sont des expérimentations mathématiques dans les deux cas 1414 .

Notes
1404.

Essentiellement, Hénon a construit sa machine seul. Il dit avoir eu très peu de contacts avec le Centre de Calcul Analogique (CCA). Louis Couffignal, directeur de l’Institut Blaise Pascal (dont dépendait le CCA) était son "parrain de recherche" ; le nom de Lucien Malavard (directeur du CCA), s’il s’en souvient, ne lui évoque rien de particulier aujourd’hui. Entretien avec M. Hénon, 17 mars 2004.

1405.

Rapports d’activité février 1955-février 1960. Archives personnelles de M. Hénon.

1406.

Rapport février 1955 et février 1956. Archives personnelles de M. Hénon.

1407.

La première a été réalisée à l’ENS Saint-Cloud et pour le calcul des pouvoirs de transmission et de réflexion des couches minces. Rapport février 1955. Archives personnelles de M. Hénon.

1408.

Rapport d’activité de février 1959. Archives personnelles de M. Hénon.

1409.

Rapport d’activité de février 1960. Archives personnelles de M. Hénon.

1410.

On peut citer de multiples exemples. Hénon a réalisé un dispositif pour obtenir précisément des résistances d’une quelconque valeur souhaitée (cela a donné lieu à une publication : [HENON, M., 1958]). La publication de la note relative à la machine analogique pour les calculs en optique montre l’analyse mathématique préliminaire au problème [HENON, M., 1955]. Dans l’étude du CAREDDOL Hénon affirme : "La stabilité de la machine, dans ses différentes conditions de foncitonnnement, a posé des problèmes mathématiques qui ont été résolus." (Rapport d’activité février 1956).

1411.

Il s’agit de quelques mots de discussion, inclus en annexe de l’article (il correspond vraisemblablement à un exposé dans un colloque que nous n’avons pas pu déterminer). Hénon répond à une question de "M. Perek" : "It is hardly possible to prove a positive statement by means of numerical methods.", [ROELS, J., HENON, M., 1967], p. 285.

1412.

Pour des raisons de précisions des calculs, l’analogique lui a paru être dépassé par le numérique. Entretien avec M. Hénon, 17 mars 2004.

1413.

Hénon semble assez fasciné par les dispositifs mécaniques analogiques pour le calcul, datant du début du siècle. Entretien avec M. Hénon, 17 mars 2004.

1414.

Entretien avec M. Hénon, 17 mars 2004. Hénon fait valoir que dans un calcul analogique on remplace un phénomène physique par un autre, en s’arrangeant pour avoir les mêmes équations ; "en poussant un peu, c’est la même chose pour l’ordinateur, car c’est aussi un objet physique".