b. Les expériences de Hénon et Heiles. Princeton, 1962-63

Dans les années 1960, donc, Hénon expérimente sur différents problèmes d’astrophysique. Pour sa thèse, il avait considéré des questions de dynamique stellaire. Durant son séjour à Princeton, en 1962, il forme le projet d’étudier le problème d’une étoile dans une galaxie asymétrique. Les résultats conduisent à l’article de Hénon et Heiles de 1964 1415 .

Ce travail relève de l’astronome-expérimentateur, mais aussi des mathématiques expérimentales. Les premières simulations ont révélé des "irrégularités", à peine perceptibles. Il a confié à un étudiant de Princeton, Carl Heiles, la tâche de refaire les calculs, depuis le début, sur une autre machine. Comme un physicien souhaitant évaluer la pertinence de ses résultats, les simulations, parce qu’elles donnent un résultat inattendu, sont reproduites sur une autre machine, indépendamment. Cela montre qu’il connaît toutes les difficultés du calcul : les erreurs peuvent venir de la programmation, des arrondis, de la machine qui est un dispositif physique et, à ce titre, ne peut pas réaliser un calcul "exact", comme il n’y a pas de mesure exacte en physique. Là où d’autres auraient peut-être écartés les phénomènes erratiques, Hénon persiste.

Pour lui, il faut mettre de côté les aspects astronomiques, pour se concentrer sur les propriétés mathématiques des modèles et faire usage des expériences numériques. Plusieurs modèles sont construits, transformés ou simplifiés dans l’objectif de saisir les caractéristiques les plus importantes. Dans ce but, les sections transverses, inspirées du travail de Birkhoff, connues de ces astronomes, sont employées. Des itérations sont ensuite introduites, à la place des équations différentielles 1416 . La simulation numérique sur les machines numériques de Princeton permet d’évaluer la pertinence des choix, de se donner une intuition ("feeling"), de donner des contre-exemples 1417  : c’est ce qui a permis de révéler la "surprise" 1418 du mélange de comportements quasi-périodiques et "ergodiques".

Après les résultats Hénon-Heiles, Hénon s’oriente vers des études numériques du problème des trois corps et des transformations du plan conservant les aires. C’est par analogie avec la question de 1964 qu’il pénètre ces questions de système dynamique. Dans ses travaux, on retrouve deux constantes : l’utilisation des méthodes de Poincaré et Birkhoff. La section transverse est l’outil fondamental pour l’étude des orbites périodiques et générales du problème des trois corps restreint. Les théories de Birkhoff sur les transformations planes donnent des outils théoriques pour guider la recherche expérimentale. L’ordinateur donne la possibilité de résoudre les équations, de manière approchée, mais l’objectif n’est pas celui-ci. Dans le problème de trois corps restreint, Hénon cherche à préciser la classification des trajectoires, réalisant en quelque sorte le projet de Poincaré. Ses longues analyses, réalisées depuis 1963, constituent un de ses plus beaux succès 1419 , en même temps qu’elles prouvent la pertinence des méthodes théoriques de Poincaré pour les expériences numériques.

Le résultat de 1976 est un autre exemple de cette double constante. Hénon transfère les techniques numériques et méthodes théoriques des systèmes conservatifs sur un exemple de système dissipatif. Cela suscitera un intérêt pour les attracteurs étranges, pendant quelques années. L’aspect expérimental de ces recherches convient tout à fait à Hénon, qui ne s’inquiète pas outre mesure du fait de savoir si l’attracteur étrange "existe", mathématiquement, ou non.

Notes
1415.

[HENON, M., HEILES, C., 1964]. Nous renvoyons aux analyses complémentaire du chapitre 7, page 494.

1416.

Cf. [HENON, M., HEILES, C., 1964], p. 77. D’après notre interview, Hénon dit avoir eu l’idée, confirmée ou précisée, semble-t-il, par Martin Kruskal (physicien travaillant sur les accélérateurs de particules). Kruskal a écrit une lettre à Hénon datée du 12 juin 1962, dans laquelle il rapproche les comportements de ce qu’il connaît, à savoir que dans les systèmes où il existe une intégrale "approximative", les courbes peuvent être nettes dans certaines régions, et devenir "fuzzy" dans d’autres. Nous ne savons pas à quoi Kruskal fait exactement référence (itération ? section de Poincaré d’un phénomène expérimental ?), mais il s’agit d’un phénomène effectivement très proche de celui de Hénon. (Archives personnelles de M. Hénon).

1417.

Michel Hénon nous a donné accès aux notes d’un séminaire de recherche, donné à l’Institute for Advanced Studies de Princeton le 28 janvier 1963, qui en dit plus long que l’article publié en 1964. On y trouve les explications de sa démarche et notamment : "Of course, no rigorous proof can be achieved in this way. But this kind of experiments can help very much by providing a "feeling" of the problem. It can also provide useful counter-examples, as we shall see.", à la page 5. (Archives personnelles de M. Hénon).

1418.

"But here comes the surprise", [HENON, M., HEILES, C., 1964], p. 76.

1419.

Celui dont il est le plus fier en tout cas. Il est conscient de l’impact de ses travaux sur le "chaos", mais concède qu’il a consacré beaucoup plus de temps et d’énergie au problème des trois corps. Entretien avec M. Hénon, 17 mars 2004.