a. L’ordinateur et la météorologie

Le premier projet de météorologie, utilisant les machines électroniques, voit le jour en 1946 à Princeton, sous l’impulsion de Von Neumann et du météorologue Jules Charney 1468 . Von Neumann est convaincu que le potentiel des machines peut être mis au service de la prévision du temps 1469 , dont la seconde guerre mondiale a révélé le caractère stratégique.

Goldstine et Von Neumann destinaient les machines à calculer à deux types d’utilisations : la résolution numérique d’un problème donné sous forme d’équation et une utilisation plus heuristique, pour esquisser des solutions à un problème. Dans le projet de météorologie de Princeton, dirigé par Charney et développé entre 1946 et 1953, ce sont essentiellement les capacités de résolution d’équations qui sont utilisées. En 1953, la prévision numérique du temps est suffisamment avancée pour justifier la constitution de centres de prévisions. Pour parvenir à l’objectif en 1953, plusieurs modèles ont été construits, implémentés et testés sur l’ENIAC notamment. Ce sont bien des modèles, schématisant les évolutions atmosphériques, et non pas directement les équations de l’hydrodynamique, qui sont utilisés. Selon Aspray, il est peut-être juste de dire que l’ordinateur a transformé la météorologie en une science mathématique des phénomènes si complexes et non linéaires 1470 .

Mais il se produit, à partir du milieu des années 1950, un changement dans cette science renouvelée. Nous le voyons comme une résurgence de l’aspect heuristique des expériences mathématiques imaginées par Von Neumann. Charney, dans un exposé à la National Academy of Sciences en 1955, exprime cette transition :

‘"Le changement radical qui est en train de se produire est dû non pas simplement à la capacité des machines de résoudre des équations connues, avec des conditions initiales et des conditions limites connues, mais plutôt sa capacité à servir de dispositif au service des approches inductives […] La machine, en réduisant les difficultés mathématiques impliquées dans la conduite d’une argument physique vers sa conclusion logique, permet d’émettre des hypothèses physiques et de les tester dans un champ où l’expérience contrôlée est encore un rêve et l’expérience sur des modèles difficile, et ainsi permet une utilisation étendue des méthodes inductives." 1471

L’ordinateur permet donc la simulation des modèles, d’une part, et surtout une sorte d’expérimentation dans un domaine où cela n’est pas possible, d’autre part. Il est perçu comme un instrument scientifique pour la météorologie et n’est plus simplement un calculateur surpuissant.

Lorsque le météorologue Edward Lorenz intervient dans les questions de fond sur la prédiction en météorologie, et réalise ses multiples simulations, il participe de cette pratique, à la différence qu’il expérimente des modèles simplifiés et non pas les modèles complexes utilisés pour la prévision. Il commence à tirer parti de l’ordinateur en 1958, lorsque le laboratoire fait l’acquisition de la machine digitale Royal McBee.

Notes
1468.

Nous nous appuyons sur l’ouvrage de W. Aspray, en particulier le chapitre 6 "The origins of Numerical Meteorology". [ASPRAY, W., 1990], pour l’essentiel des questions relatives aux projets de météorologie, après la seconde guerre mondiale, aux Etats-Unis. On peut également consulter [DAHAN, A., 2000].

1469.

A ce moment là, Von Neumann est sur le projet de construction d’une machine, connue sous le nom d’IAS en référence à l’Institute of Advanced Studies de Princeton. Outre l’intérêt que Von Neumann porte aux questions de mécanique des fluides, de turbulence, le météorologue Carl-Gustav Rossby a eu une grande influence sur lui ; Vladimir Zworykin, un ingénieur en électricité, travaille également en 1945 à la construction d’une machine pour prédire le temps, reposant sur le calcul analogique. Von Neumann avait connaissance de ce projet. Aspray détaille tout le réseau dans lequel s’inscrivent les idées de Von Neumann en météorologie [ASPRAY, W., 1990], p. 127-134.

1470.

[ASPRAY, W., 1990], p. 152.

1471.

"The radical alteration that is taking place in this state of affairs is due not merely to the ability of the machine to solve known equations with known initial and boundary conditions but even more its ability to serve as an inductive device [...] The machine, by reducing the mathematical difficulties involved in carrying a physical argument to its logical conclusion, makes possible the making and testing of physical hypotheses in a field where controlled experiment is still visionary and model experiment difficult, and so permits a wider use of inductive methods.". Cité dans [ASPRAY, W., 1990], p. 152-3.