b. Lorenz, les prédictions statistiques et l’instabilité

Lorenz est inscrit dans un contexte de débats opposants les tenants de la prédiction statistique aux partisans de la dynamique, d’une part, et d’une réflexion plus générale, et plus épistémologique, sur la "prédictibilité" en météorologie, d’autre part 1472 . Lorenz, au MIT depuis 1948, fait lui-même partie du projet de prévisions statistiques 1473 , pour lesquelles la méthode de régression linéaire est utilisée. Aux origines de ce débat, il y a une question de perception des instabilités. Les deux approches renvoient schématiquement aux conceptions de deux des scientifiques les plus influents de ces années : Norbert Wiener et Von Neumann. Le premier, mathématicien spécialiste des problèmes de statistiques mathématiques, s’était prononcé en faveur des méthodes statistiques. Les arguments de Wiener étaient les suivants : "la connaissance complète, qui conduirait à la justification d’une prédiction météorologique purement dynamique, est lointaine de ce qui nous a été donné en fait" 1474 . Et les détails manquants ne sont pas négligeables, car il ne faut pas ignorer "la possibilité très réelle d’auto-amplification des petits détails de la carte du temps" 1475 . Voilà qui rappelle les commentaires de Poincaré dans "Le Hasard" 1476 .

Wiener suggère qu’il existe une mesure invariante derrière les phénomènes météorologiques et les méthodes de théories des probabilités devraient en rendre compte. Son argumentation, qui reste assez heuristique, est principalement articulée sur des questions de théorie ergodique 1477 et de Mécanique statistique.

Von Neumann est l’avocat de la prédiction dynamique, depuis ses débuts, il est conforté dans ses convictions par les succès du programme de Princeton. Von Neumann a de même défendu l’idée que l’on puisse contrôler le temps, grâce à une connaissance et une utilisation des petites perturbations sur l’état général de l’atmosphère. Au fond, l’opposition repose sur la perception des instabilités et reflète le manque de clarté et de précision dans l’enjeu représenté par ces instabilités.

Notes
1472.

On pourra consulter le texte d’A. Dahan sur Lorenz [DAHAN, A., 2000]. L’auteur choisit de se focaliser sur la problématique de la modélisation. Sans dénier la pertinence et l’importance de la modélisation, nous complétons cette analyse en insistant davantage sur les problèmes de calcul.

1473.

Il participe puis prend la direction du groupe au départ du responsable, Thomas Malone en 1955. [LORENZ, E.N., 1993], p. 130-1.

1474.

"This completeness of knowledge, which would lead to the justification of a purely dynamical meteorological prediction, is absurdely far from what has actually been given us.", [WIENER, N., 1950], p. 371.

1475.

"[…] the very real possibility of the self-amplification of small details in the weather map.", [WIENER, N., 1950], p. 371.

1476.

Wiener cite le proverbe suivant pour illustrer son propos : "For want of a nail, the shoe was lost ; For want of a shoe, the horse was lost ;For want of our horse, the rider was lost ; For want of a rider, the battle was lost ; For want of a battle, the kingdom was lost !" (ibid., p. 372). Ce qui se rapproche aisément du "Une petite cause..." de Poincaré, qui avait ajouté un exemple similaire de problème d’instabilité en météorologie (cf. chapitre 1, page 82).

1477.

"The basis of all this is ergodic theory.", [WIENER, N., 1950], p. 372.