d. Le projet de Lorenz

Lorenz doit donc faire face à ces arguments. Ses projets des années 1960 visent à préciser ce qu’il a entrevu avec son modèle à 12 équations. On rappellera que, selon la petite histoire, c’est de manière fortuite que Lorenz a vu l’instabilité dans la simulation du modèle, en 1959, lorsqu’il réalisait les calculs préparatifs à l’exposé de Tokyo 1489 . En revanche, il cherchait un comportement non périodique, et il a rapidement associé cette instabilité avec la non périodicité et les limites de prédictibilité : la démonstration de cette association l’occupe durant les années 1960-64. Au passage, on ne peut s’empêcher de signaler la proximité entre les idées de Lorenz et celles de Thompson 1490 , hormis la non périodicité.

Pour mener à bien son projet, Lorenz suit une démarche novatrice. Elle part de l’hypothèse qu’il est possible d’appréhender des phénomènes de la météorologie à partir de modèles simplifiés. A la manière d’un physicien, Lorenz cherche à isoler dans un modèle, un phénomène ou un problème météorologique précis. L’expérimentation numérique aide à construire ce modèle et à en tirer un maximum de propriétés 1491 . Son objectif est de comprendre les comportements des modèles mathématiques afin d’adapter le modèle aux exigences d’instabilité et de non périodicité. A. Dahan parle à ce sujet d’une "pratique de modélisation" pour cette démarche de Lorenz 1492 , laquelle se met en place progressivement, par essais et erreurs. Avec la collaboration de Barry Saltzman, et grâce à ces expériences sur les modèles mathématiques 1493 , Lorenz aboutit à un système de trois équations (système de Lorenz) et publie son plus célèbre article "Deterministic nonperiodic flow" de 1963.

Notes
1489.

Lorenz l’a expliqué lui-même dans [LORENZ, E.N., 1993], p. 133-6.

1490.

Il ne cite le texte de Thompson que dans des articles ultérieurs, qui concernent eux la question de la prédictibilité, [LORENZ, E.N., 1965] par exemple. Cependant, Lorenz travaille avec le Air Force Cambridge Research Laboratory (la plupart de ses contrats de recherche en émane, il suffit de regarder tous ses articles de la période), où Thompson (cadre de l’Air Force) a travaillé (en 1953, il a dirigé les premières implémentations des modèles pour les simulations du Joint Numerical Weather Prediction Unit, [ASPRAY, W., 1990], p. 148).

1491.

Lorenz développe déjà en 1960 des procédures de simplifications des équations de l’hydrodynamique, à des fins d’analyse de phénomènes donnés ("Maximum simplification of the dynamic equations", [LORENZ, E.N., 1960c]).

1492.

[DAHAN, A., 2000], p. 414.

1493.

Nous passons sur les longs tâtonnements avant d’en arriver au modèle final. En résumé, Lorenz met en place les procédures de simplification avec Saltzmann, qui lui fournit les équations d’un problème de convection (7 équations, voir [SALTZMANN, B., 1962]). La propriété intéressante du modèle tient à l’existence d’un comportement non périodique, relevé par Saltzmann. En mêlant l’analyse numérique et les simulations du modèle, Lorenz et Saltzmann obtiennent le modèle à 3 équations, avec le comportement non périodique recherché. [LORENZ, E.N., 1993], p. 137-139. Voir également [DAHAN, A., 2000], p. 412-7 (pour signaler les spécificités du travail de Lorenz, l’auteur évoque une "pratique de modélisation").