e. Conclusion : quelques constantes de l’histoire du chaos

L’exemple des développements de la météorologie et des travaux de Lorenz nous aura montré une nouvelle fois l’importance des ordinateurs et du calcul, la diversité des utilisations de ces machines et la construction de nouvelles démarches de recherche. Sur la base de considérations issues de la météorologie et des problèmes de prévision, Lorenz a su utiliser les ressources des expériences numériques pour échafauder des modèles à la mesure des problèmes rencontrés et en dégager les propriétés.

La notification des recherches d’Ulam sur les transformations non linéaires n’a rien d’anecdotique, ni de fortuite. Elle prouve que les expériences numériques sont courantes en météorologie. L’article de 1963 consacre aussi l’éloignement de l’empirisme prôné par Von Neumann. Il dégage les limites de l’exercice d’expériences mathématiques, selon Ulam : les mathématiques des systèmes dynamiques sont indispensables à Lorenz, depuis la simple notion d’espace des phases jusqu’aux itérations, pour guider les démarches et assurer les conclusions sur ses modèles. Ueda avait du faire de même.

Ce détour par l’histoire de la météorologie nous a permis de montrer comment la question de l’instabilité et la non périodicité de certains phénomènes a émergé et a été débattue avec détermination par Lorenz. On remarquera que c’est à la frontière de la dynamique et de la statistique que ces questions ont germé, ce qui n’est pas sans rappeler les débats entourant les questions d’ergodicité et de Mécanique statistique. Mais, malgré ces efforts, les résultats de Lorenz peinent à se faire une place. Lorenz tente la vulgarisation de ses idées avec l’"effet papillon" en 1972, auprès des météorologistes. Sans équations, sans mathématiques, il explique sa conviction de l’instabilité de l’atmosphère et de l’effet de petites perturbations sur la prédictibilité. Mais le texte ne sera pas publié avant 1993 ¹⁵⁰² . Le succès viendra avec la rencontre des questions de stochasticité et des mathématiques des systèmes dynamiques car les problèmes d’instabilité sont de plus en plus facilement discutés au cours des années 1960. La situation se renversera alors dans les années 1970, et transformera Lorenz en "père fondateur" du domaine, avec toutes les ambiguïtés que cela suppose.