10.1. Vers les oscillations chimiques

a. Préliminaires

Avant d’engager le parcours à travers cette étude, il faut souligner que notre analyse concerne les oscillations chimiques homogènes : cela signifie que le système chimique n’a qu’une seule phase et que dans cette phase, ce sont les quantités d’espèces chimiques en présence qui oscillent.

Deux obstacles majeurs ont handicapé le développement des oscillations chimiques, jusqu’à la fin des années 1960. La première est l’idée selon laquelle il ne peut exister d’oscillations que lorsque le système est hétérogène. La diffusion de cette conception peut être imputée, en grande partie tout du moins, au physico-chimiste allemand Wilhelm Ostwald. Au début du XXème siècle, celui-ci a mis en évidence des oscillations dans des réactions chimiques catalysées : comme pour la plupart des phénomènes de catalyse, tout se déroule en milieu hétérogène et ces oscillations étaient attribuées à des impuretés 1504 . Un élève de Ostwald, G. Bredig travaillait lui sur la décomposition de l’eau oxygénée, qui devient périodique en présence de mercure. En faisant le lien avec les travaux de son maître, dès 1903 il en est arrivé à conclure que le mécanisme est dû essentiellement à l’hétérogénéité de la réaction 1505 . Alors que la question est encore peu discutée, l’hétérogénéité occupe donc déjà une place privilégiée.

Le second frein est très intériorisé dans la pensée scientifique, et n’est que rarement explicité. La thermodynamique joue un rôle considérable dans ces considérations chimiques et une interprétation un peu sommaire du second principe laisse penser qu’il est impossible d’avoir des oscillations dans un système chimique : il ne peut se produire qu’une évolution monotone vers l’équilibre, conformément à la croissance de l’entropie avec le temps 1506 . Des deux verrous celui-ci a été le plus long à débloquer et avant les travaux de l’école de thermodynamique de Bruxelles, pratiquement aucune remise en question sérieuse n’a été engagée.

Notes
1504.

Wilhelm Ostwald (1853-1932) est un chimiste allemand, honoré du prix Nobel en 1909 pour ses travaux sur la catalyse. Il est également l’instigateur principal de la chimie-physique moderne. D’après [PACAULT, A., PERRAUD, J.J, 1997] (p. 29), il a donné un exposé à Münich en 1899 : "Vitesses de réactions instables périodiques". Il s’agit de la réaction du chrome dans des solutions acides concentrées, provoquant un dégagement périodique d’hydrogène.

1505.

[BREDIG, G., WEINMAYR, J., 1903]. Voir [PACAULT, A., PERRAUD, J.J, 1997], p. 31 pour d’autres détails.

1506.

En d’autres termes, dans le contexte de la chimie des réactions, les concentrations des différents produits chimiques doivent s’orienter au cours de la réaction, vers une valeur constante, sans osciller. La faiblesse du raisonnement, on le verra, tient au fait qu’il s’agit d’une extrapolation des propriétés des systèmes fermés.