Le passage à l’Ouest

Naturellement la promotion de ce travail en URSS est assurée par les publications du groupe et les deux colloques de Pushino (où le groupe travaille après son déménagement de Moscou) en 1966 et 1970. Cependant la réaction reste longtemps connue exclusivement en URSS. Au niveau international et dans le monde occidental en particulier, la reconnaissance de ces découvertes s’est faite progressivement et plutôt lentement. Le tout premier article non écrit en russe date de 1967 seulement : il est signé par le chimiste danois Hans Degn, dans la prestigieuse revue Nature 1538 . Il y a encore très peu de diffusion de ces découvertes et peu de scientifiques concernés par le sujet. La chimie des oscillations gagne également la science occidentale par l’intermédiaire d’un colloque Est-Ouest organisé à Prague en 1968. Profitant du printemps de Prague, des biologistes et des biochimistes occidentaux ont décidé de mettre en place une rencontre "Biological and biochemical oscillators" entre le 19 et 21 juillet 1968 à Held, à proximité de Prague 1539 . Cet intérêt pour les oscillations biologiques n’est pas subit. Autour de Britton Chance (né en 1913) il existe en effet un groupe de recherche à l’université de Philadelphie s’occupant des oscillations apparaissant dans le phénomène de glycolyse. Ces études remontent au milieu des années 1950 et c’est dans le courant des années 1960 qu’elles prennent de l’importance : l’intérêt porté à ce thème convainc les protagonistes d’organiser un colloque. Benno Hess, un chercheur collaborant avec le groupe de Chance, est le relais qui a permis d’associer les chercheurs soviétiques, grâce à ses relations privilégiées avec Schnoll, tissées au colloque de Pushino de 1966 auquel il a participé 1540 .

L’institut de Pushino se déplace en nombre à Prague pour exposer ses travaux très orientés vers la réaction de Belousov-Zhabotinsky. Naturellement, cet ensemble de présentation suscite beaucoup d’intérêts et d’interrogations auprès d’auditeurs peu au fait de ces questions. Une seconde rencontre est ensuite organisée en 1969 en Finlande mais plusieurs chercheurs soviétiques ne seront pas autorisés à y participer (notamment Zhabotinsky).

Pour autant, il semble que la langue plus que des questions de restrictions de déplacements ou de mise au secret, soit le principal obstacle à la diffusion de ces travaux hors d’URSS. Peu de scientifiques lisent le russe et compulsent les revues soviétiques ce qui explique que seuls quelques chercheurs isolés, comme Degn ou encore l’allemand Heinrich Busse, en aient eu connaissance et soient par conséquent un peu marginaux dans la science occidentale.

Pour comprendre cette diffusion progressive à la fin des années 1960 il convient de la relier aux nouvelles théories thermodynamiques se développant à ce moment là. En effet, l’importance accordée à la réaction Belousov-Zhabotinsky tient au fait qu’elle donne une assise expérimentale à ces théories et qu’elle en ressort fortement accréditée. Avant d’aborder la rencontre de ces deux voies de recherche, revenons rapidement sur la réévaluation des concepts thermodynamiques, dans le cadre de l’Ecole (de thermodynamique) de Bruxelles, qui a abouti à la thermodynamique non linéaire.

Notes
1538.

[DEGN, H., 1967]. Heinrich Busse a publié un second article en 1969 [BUSSE, H.G., 1969]. Un autre groupe publiera, en 1971 seulement, un troisième article sur le thème : [KASPEREK, J.G., BRUICE, T.C., 1971]. Ce sont des données quantitatives relatives au mécanisme de la réaction de Belousov-Zhabotinsky.

1539.

Les instigateurs de ce colloque sont des chercheurs travaillant au laboratoire de la Johnson Research Foundation de l’université de Philadelphie, dirigé par Britton Chance. Cela inclut Kendall Pye, Amal Ghosh et Benno Hess (biochimiste allemand). Les comptes rendus du colloque de Held et de Finlande ont été publiés dans [CHANCE, B., 1973].

1540.

Voir [PACAULT, A., PERRAUD, J.J., 1997], p. 49-53 pour plus de détails.