a. Le mécanisme FKN pour les oscillations de Belousov-Zhabotinsky

En 1970, l’entreprise de donner un mécanisme détaillé de la réaction de Belousov-Zhabotinsky est entamée. Jusque-là, les modèles dominants restent abstraits (Lotka, Bruxellateur) et difficiles à mettre en rapport avec la chimie de la réaction. L’exercice est en fait loin d’être trivial et tel qu’il se réalise entre 1970 et 1974, il nécessite la combinaison d’expériences, de simulations numériques et de mathématiques des oscillations, avant d’aboutir au mécanisme FKN et à un modèle dérivé, l’"Oregonator".

En 1969, la réaction de Belousov-Zhabotinsky est exportée aux Etats-Unis, à l’Université d’Eugene (Oregon) par Robert Mazo 1565 . Deux étudiants de Mazo, Richard Field et Richard Noyes (1919-1997) s’intéressent aux expériences et se lancent dans cette recherche avec le soutien d’un autre chimiste arrivant de Hongrie, Endre Köros. Leur démarche est résolument empirique. Ils essaient d’extraire un maximum d’informations sur les processus chimiques en réalisant des expériences, puis construisent un mécanisme général en conservant l’essentiel de la chimie déduite de l’expérience.

De 1970 à 1972, ces trois chimistes coopèrent 1566 et obtiennent un premier mécanisme complet à la fin de l’année 1971. Deux publications de 1972 1567 donnent tous les détails de cette machinerie que l’on retient depuis sous le nom "mécanisme FKN" du nom de leurs inventeurs. 15 espèces chimiques et 11 réactions intermédiaires forment le corps du schéma. Un schéma supposé reproduire l’essentiel de la réaction avec seulement 5 équations et 3 réactions intermédiaires a été extrait du mécanisme FKN par la suite, il s’agit de l’"Oregonator", obtenu par Field et Noyes en 1974 1568 . Mécanisme FKN et "Oregonator" constituent les deux éléments essentiels du "paradigme" des oscillations dans la réaction de Belousov-Zhabotinsky.

Il serait fastidieux de détailler les étapes de ces recherches, les divers systèmes expérimentaux implémentés et mécanismes testés 1569 . Nous soulignerons seulement l’utilisation de l’ordinateur. Depuis les travaux de Lefever la simulation joue un rôle important. Ainsi, le mécanisme FKN est rapidement décomposé en réactions élémentaires et traduit en système différentiel afin d’effectuer des simulations numériques. Edelson, Field et Noyes améliorent les étapes intermédiaires et font des simulations dès 1975, qu’ils poursuivent jusqu’en 1979. Ils engagent la perspective des numériques "lourdes", choisies par plusieurs groupes de recherche.

Les simulations numériques ne se résument pas aux calculs de ce genre. Dans les premières analyses pour construire et valider l’"Oregonator" les études des équations différentielles combinent habilement mathématiques et simulations. Field et Noyes affirment ainsi mettre en évidence un cycle limite dans l’Oregonator ; ils considèrent que leurs calculs numériques font office de "démonstration" 1570 du caractère oscillatoire de l’Oregonator et du mécanisme FKN, par extrapolation.

De manière plus générale, la simulation est au cœur des démarches visant à établir des mécanismes, confronter les modèles aux données expérimentales et intégrer les données empiriques dans les mécanismes. Pratiquement rien de ce qui a été fait n’aurait été imaginable sans les simulations numériques.

Ici la thermodynamique venue de Bruxelles est finalement reléguée au second plan. Les nouvelles conceptions ont légitimé les analyses des oscillations chimiques mais les recherches sont réalisées selon d’autres perspectives s’inspirant d’une démarche du type de celle de Lotka, doublée de simulations numériques. Cependant, la thermodynamique ouvre d’autres voies dans l’expérimentation chimique notamment. Les dispositifs pour réaliser des réactions en milieu ouvert sont développés et fourniront des moyens pour les études expérimentales du chaos. En parallèle, à Bruxelles Prigogine cherche à étendre les considérations théoriques, sur un mode plus spéculatif.

Notes
1565.

Mazo est professeur de chimie à l’université d’Eugene. Il passe une année sabbatique universitaire à l’Université de Bruxelles de 1968 à 1969, attiré par leur notoriété, et c’est au contact direct et prolongé des thermodynamiciens qu’il se forge une connaissance des structures dissipatives et de la réaction de Belousov-Zhabotinsky. Voir [PACAULT, A., PERRAUD, J.J., 1997], p.57.

1566.

Ils travaillent d’abord à Eugene, puis de manière dispersée entre Eugene (Noyes), Oxford (Noyes) et Budapest (Körös). Ils font face également à une concurrence venant du groupe des fondateurs, Zhabotinksy en premier.

1567.

Les deux publications sont [NOYES, R.M., FIELD, R.J., KÖRÖS, E., 1972] et [FIELD, R.J., KÖRÖS, E., NOYES, R.M., 1972]. La seconde est la plus importante car la plus complète, l’autre n’étant qu’une brève note.

1568.

[FIELD, R.J., NOYES, R.M., 1974].

1569.

Pour des détails sur ces points, sur la collaboration entre Field, Noyes et Körös et la compétition internationale qui se livret au sujet des mécanismes de la réaction, nous renvoyons à [PACAULT, A., PERRAUD, J.J., 1997], p. 58-60.

1570.

[FIELD, R.J., NOYES, R.N., 1974]. Le paragraphe central de l’article qui est consacré aux résultats numériques, s’intitule : "Calculations demonstrating oscillatory behaviour", p. 1879-1881.