Rössler et les analyses de Hudson
La chimie des oscillations marque de manière beaucoup plus profonde les conceptions de Rössler, comme nous l’avons vu au chapitre 4. Pour le dire brièvement, on peut voir la collaboration de Rössler et Seelig 1583 comme un aboutissement des recherches sur les réactions chimiques abstraites depuis Lotka, en passant par Turing et le Bruxellateur. Ces modèles comptent d’ailleurs parmi les éléments clés de la classification proposée par Rössler.
Winfree, qui a orienté Rössler vers le thème du chaos en 1975, a lui aussi participé à cet élan. Il peut être considéré comme le grand pédagogue des oscillations chimiques hors d’URSS et le publicitaire de la réaction de Belousov-Zhabotinsky 1584 . Ainsi ses photographies des ondes spirales obtenues dans la réaction de Belousov-Zhabotinsky en 1970 font la une du magazine Science en 1972 1585 .
Dans les démarches expérimentales sur le chaos, les systèmes chimiques sont les systèmes tout naturellement testés par Rössler, la réaction de Belousov-Zhabotinsky en premier lieu. En 1978, en collaboration avec Klaus Wegmann il s’agit alors de chercher du chaos dans la réaction de Belousov-Zhabotinsky grâce au catalogue de comportements dressé par Rössler. Nous avons vu quelles limites techniques cette recherche a rencontrée, concernant le relevé des signaux expérimentaux en nombre suffisant notamment. Les tests expérimentaux n’ont pas abouti sous cette forme et ont laissé en suspens la question de l’existence du chaos chimique.
Les analyses de Rössler ont été reprises par un groupe de chimistes américains pour interpréter un signal irrégulier : R.A. Schmitz, K.R. Graziani, J.L Hudson, de l’Université de l’Illinois. Leur article de 1977 combine des expériences sur la réaction de Belousov-Zhabotinsky réalisées en système ouvert, grâce à un réacteur de type CSTR, et les analyses topologiques de Rössler 1586 . Ils construisent une interprétation des signaux expérimentaux en termes de trajectoires sur une structure en S, celle que Rössler avait lui-même utilisée dans son premier article sur le chaos en 1976.
Avec quelques approximations parfaitement assumées, les chimistes tentent d’associer une trajectoire de l’espace des phases avec un type de comportement observé : le pic brusque dans le signal correspondrait à la chute du plan supérieur vers le plan inférieur (voir figures). Le chaos, c’est-à-dire une trajectoire non périodique ici, est rapporté à la "réinjection" 1587 de trajectoire suggérée par Rössler. Cependant, la question de l’existence du chaos chimique ne peut pas être résolue ainsi 1588 . Les auteurs ne prétendent pas qu’il n’y a qu’un phénomène "intrinsèque" mais indiquent ou suggèrent des ressemblances entre les propositions de Rössler et leurs diagrammes issus de simulations numériques. Avec M. Hart et D. Marinko, John Hudson poursuit les recherches d’oscillations non périodiques, en termes expérimentaux, avec un certain succès, même si les conclusions restent limitées. L’ensemble des expériences où les comportements périodiques côtoient un chaos chimique est publié en 1979.