Les applications des mathématiques

Les rapports du Comité National pendant les années 1960 nous permettent de mieux saisir l’idéologie sous-jacente aux "mathématiques pures". Elle est appuyée par différents arguments relevant de l’histoire et repose sur une épistémologie un peu simplifiée.

L’argument récurrent en faveur de la pratique de mathématiques "pures" est l’idée selon laquelle les mathématiques sont souvent à l’origine des découvertes fondamentales. Une histoire des sciences un peu déformée sert de démonstration à cette idée :

‘"[...] la plus formidable source d’énergie actuellement connue n’a pu être soupçonnée qu’à la suite de travaux purement mathématiques d’Einstein [...] les théories quantiques n’auraient pas vu le jour sans les connaissances alors acquises sur les espaces de Hilbert." 1608 .’

Dans l’esprit des auteurs de ces rapports, tout semble se résumer au fait qu’on applique les théories mathématiques dans différentes situations. Les mathématiques "pures" sont donc à la racine de toute la connaissance, en quelque sorte la science la plus "fondamentale". Il y a les mathématiques pures et les applications des mathématiques. Les mathématiques pures peuvent se livrer à l’exercice de spéculation, dont les applications viendront "plus tard". On retrouve certaines idées de Bourbaki, notamment celles exprimées par J. Dieudonné 1609 . L’idée d’"application" se résume à une notion de transfert, à sens unique, des mathématiques pures vers la physique par exemple. Les évolutions futures marqueront les limites de cette idée d’"application".

Ressassé à longueur de rapports, l’autre aspect de ces "mathématiques pures" définies par opposition aux "applications" est le discours sur l’impossibilité d’orienter les recherches dans le domaine. Après les exemples d’Einstein, de la Mécanique quantique et d’autres en Mécanique des fluides, vient l’argument :

‘"Si l’on voit sur ces exemples, qu’il est impossible de prévoir quelles connaissances mathématiques seront pratiquement nécessaires demain, il est plus fondamental encore de comprendre à quel point toute prétention à définir des urgences ou des priorités serait absurde et plus encore funeste." 1610

En résumé, on ne sait pas ce qui est susceptible d’être appliqué, donc il faut développer tous les fronts simultanément et donner aux mathématiciens les moyens qu’ils réclament pour cela 1611 .

Notes
1608.

Rapport de conjoncture 1960, section 1, p.9. Repris dans les Rapports de conjoncture de 1963/64.

1609.

Dans [DIEUDONNE, J., 1987], par exemple.

1610.

Rapport de conjoncture du CNRS 1960, section 1, p. 10.

1611.

La suite du rapport 1960 est effectivement une liste des problèmes d’ordre pratique à résoudre.