Conclusion : peu de mathématiques de la dynamique non linéaire au CNRS

Le décalage entre l’information disponible concernant la recherche sur les équations différentielles, dont l’enjeu est décrit comme stratégique, et l’action conduite effectivement est étonnant. Les conceptions sur la recherche handicapent lourdement les chances de créer une interaction avec les mathématiques "pures". Il n’y aura donc pas de mathématiciens, de la section 1, orientés spécifiquement sur ce type de problème, ni sur un autre d’ailleurs. Les moyens du CNRS sont tout entier réservés pour suppléer l’université. En cela, le CNRS se contente de suivre les recommandations du Comité National censées dynamiser le secteur 1621 et ce d’autant plus que l’effort financier à fournir n’est pas énorme, relativement aux autres sections.

Le credo universitaire n’est pas réservé aux mathématiques, cependant, il n’a pas si bien résisté qu’en section 1. Les discours ne suffisent pas à expliquer cette situation et on peut penser que les spécificités de la recherche en mathématiques "pures" en font un bastion facile à défendre : en termes financiers, par exemple, les demandes se limitent à des bibliothèques et des financements de thèse, plutôt qu’à de gros équipement ou des structures importantes. Matériellement, rien n’oblige à fixer des priorités ou des orientations, ce qui ne veut pas dire qu’il soit impossible ou "funeste" d’en donner. On peut même trouver une contradiction dans le fait de classer les disciplines selon leur "contenu bourbachique" (et par là fixer ce qui relève des mathématiques pures et qu’il faut approfondir) et cette idée qu’on ne fixe pas de priorités : en quoi la hiérarchie établie est-elle moins arbitraire que des orientations déterminées sur d’autre critères ? En définitive, qui doit fixer ce qu’il faut ou ne faut pas traiter ? Avec Bourbaki, tout porte à croire que ce sont les mathématiciens eux-mêmes, selon une dynamique interne des mathématiques qu’ils perçoivent, et certainement pas des décisions extérieures, surtout d’ordre économique ou politique. Très critiqués par la suite, par des membres du groupe également 1622 , ces positions ont eu des conséquences sur le sous-développement du non linéaire, en matière de mathématiques, en France. Plus généralement, les mathématiques appliquées, les probabilités et les statistiques ont beaucoup souffert des discours négligeant ces activités 1623 .

Notes
1621.

Le CNRS accède régulièrement à ce type de souhaits formulés par la section 1. Pour ne donner que quelques exemples, des thèses et des colloques importants sont financés. Dès 1947, avec les fonds Rockefeller, des colloques CNRS avaient été organisés sur les thèmes de la "Topologie algébrique" ou "Analyse harmonique" (Colloques organisés en juin 1947 respectivement par A. Denjoy, à Paris et par S. Mandelbrojt, à Nancy). Par la suite, un colloque sur la "Topologie algébrique et géométrie différentielle" se déroule à Lille en 1959 (Organisé par le professeur Deheuvels, Faculté des sciences de Lille). Ou encore le colloque de mathématiques pures à Grenoble en 1963 : "Systèmes différentiels et structures feuilletées" (Organisateurs : M. Reeb, Professeur à la Faculté de Grenoble et M. Ehresmann, Professeur à la Faculté de Paris).

1622.

Par exemple, Laurent Schwartz s’est laissé aller à quelques regrets : "Bourbaki s’est écarté des probabilités, les a rejetées, les a considérées comme non rigoureuses et par son influence considérable, a dirigé la jeunesse hors du sentier des probabilités. Il porte une lourde responsabilité, que je partage, dans le retard de leur développement en France.", cité dans [POUR LA SCIENCE, 2000].

1623.

En témoigne le peu de recherches de ce type développées à l’université : la première chaire d’analyse numérique n’est crée à Paris qu’en 1959. Voir [MOUNIER-KUHN, P.E., 1987], p. 42.