Le rapport de la section 1

Dans la section 1, l’effet du rapprochement de 1967 entre mathématiques et informatique ne se fait pas attendre. La commission change de nature en accueillant des membres de différents horizons : mathématique, informatique, public, privé 1669 .

En substance, les auteurs affirment que le système traditionnel universitaire s’est perpétué mais "sans réellement s’adapter ni aux besoins de la recherche mathématique "industrielle", ni à l’accroissement énorme des tâches d’enseignement de masse par lesquelles ont été progressivement submergées les universités depuis dix ans [...]" 1670 .

Les analyses se font sans concession et un point en particulier est très en décalage par rapport à la période passée : la conception et l’orientation scientifique de la recherche. Selon les auteurs, la recherche mathématique est trop souvent perçue comme imposée par la nécessité de publier pour faire carrière et pas assez comme participation au développement de la connaissance. L’orientation des recherches laisse à désirer, il existe des travaux disparates, des thèmes de recherche fabriqués artificiellement. En outre,

‘"[...] les orientations individuelles de recherche sont encore souvent déterminées sans coordination les unes avec les autres ou avec les problèmes que posent les utilisateurs des mathématiques ; en particulier le clivage entre mathématiques pures et mathématiques appliquées est encore très sensible et rares sont les mathématiciens purs qui se penchent sérieusement sur des problèmes à motivation appliquée [...]" 1671

Le redécoupage de 1967 est d’ailleurs jugé bénéfique car cela permet de favoriser les relations entre ces disciplines à motivations appliquées et les recherches de mathématiques pures, "ce dont ces dernières ont grand besoin" 1672 .

Pour répondre à ces enjeux, les auteurs proposent d’orienter, en partie, les recherches en mathématiques 1673 . En cela, ils pensent à un encouragement à regrouper des efforts autour de sujets concrets, soit pour approfondir des domaines déjà défrichés soit à motivation appliquée. Ceci pourrait se combiner à une conception "saine" du travail de recherche mathématique :

‘"[…] rétablir ou renforcer le goût - et la valeur de la découverte - de la recherche à propos des problèmes les plus élémentaires et pas seulement des plus complexes ou des plus abstraits (les écoles américains et russes actuelles en donnent à ce sujet un remarquable exemple). Il importe de plus de noter que c’est le plus souvent à propos de l’étude de problèmes concrets que se font les découvertes importantes en mathématiques." 1674 . ’

L’analyse contraste avec les précédents rapports.

Notes
1669.

Le président est Jacques-Louis Lions, professeur à la Faculté des Sciences de Paris, spécialiste d’analyse numérique, théoricien de l’automatique et l’un des premiers de la communauté des mathématiques pures qui ait saisi l’importance de la révolution informatique. Notons qu’il dirige depuis 1967 le département "Informatique numérique" à l’IRIA, avant d’y créer le Laboria et de diriger l’institut en 1980. Outre d’autres universitaires de Paris et Province (dont J.P. Serre et L. Schwartz, spécialiste d’analyse) et quelques chercheurs du CNRS, on trouve Albert Amouyal (Chef du service de Calcul du CEA de Saclay, Centre d’Etudes Nucléaires), F. Genuys (Conseiller scientifique pour IBM à Paris), R. Lattes, directeur de la SEMA et d’autres "informaticiens".

1670.

Rapport de conjoncture du CNRS 1969, section 1, p. 11. Ces affirmations font écho à une précédente phrase : "[...] on peut dire que la recherche mathématique française, y compris la recherche appliquée qui se développe en dehors des facultés, est encore aujourd’hui (à la fin de 1968) presqu’entièrement dominée par le système traditionnel de la recherche universitaire [...] lequel se trouve à la fois dépassé par les besoins actuels de la recherche, et démantelé par la crise de l’Université.", ibid., p. 10.

1671.

Rapport de conjoncture du CNRS 1969, section 1, p. 12 (nous mettons en évidence).

1672.

Ibid., p. 18

1673.

Les auteurs prennent la peine de préciser : "[…] dans la mentalité traditionnelle de l’Université française, c’est toujours avec réticence que les mathématiciens entendent parler d’orientation scientifique concernant leurs travaux" (Ibid., p. 21).

1674.

Ibid., p. 21.