Des réflexions de fond

Au fond, la réflexion sur la recherche entamée vers 1970 est articulée par une mise en question de la dichotomie fondamental / appliqué qui commence à apparaître trop rigide pour assurer un développement harmonieux de la recherche scientifique et de l’industrialisation 1680 . Les analyses produites grâce à la "recherche sur la recherche", à un niveau international, vont dans ce sens. Au cœur du problème se trouve le lien entre science et technique : il devient évident qu’il n’y a pas de relation linéaire de la science vers la technique, au contraire de ce qui était couramment pensé. Un objet technique est la somme de plusieurs petites inventions et un domaine technique fait appel à plusieurs domaines de recherche scientifique. Parler de "recherche appliquée" est donc trompeur et il est illusoire de placer la recherche technologique en prolongement de l’activité de recherche fondamentale (ce qui est d’ailleurs impossible en fait). La recherche technologique passe par un dialogue constant avec la recherche fondamentale, qui devient un réservoir de connaissances dans lequel on puise.

D’autres questions se font jour, notamment celle de la planification de la recherche : comment assurer à la fois le développement interne en autonomie de la science et faire profiter le monde socio-économique de cette recherche ? Plus généralement, les rapports entre la science et la société sont questionnés. Le Rapport de Conjoncture du Comité National de 1974, appuyé par le rapport de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economiques) de 1971, "Science, croissance et société", laisse filtrer un sentiment de crise au niveau de la société :

‘"Science et technologie ont été les outils privilégiés de la croissance. Mais cette croissance n’a pas été canalisée sur des objectifs sociaux clairement définis, et s’est effectuée d’une façon quelque peu anarchique et inégale. Les sociétés des pays industrialisés ont ainsi été envahies, submergées et bousculées par un développement technologique non orienté sur des finalités sociales, et ont subi en quelque sorte une croissance qu’elles n’ont pas su maîtriser" 1681 . ’

L’analyse développée met en avant cette absence de finalités sociales comme une des racines de la crise, qui se traduit aussi par la confusion entre développement technologique (et son déterminisme) et développement de la société. Les conséquences de cette crise ne doivent évidemment pas être le démantèlement de la recherche scientifique, mais selon les auteurs, il s’agit désormais de concilier recherche et société. Le modèle de développement scientifique et technique, hérité du XIXème siècle, est donc battu en brèche par ces analyses.

Notes
1680.

Pour davantage de détails, nous renvoyons à l’ouvrage de G. Ramunni, consacré à l’histoire des SPI : [RAMUNNI, G., 1995].

1681.

Rapport de conjoncture du CNRS 1974 p. 22 (mis en évidence dans le texte).