b. Les ATP sur le chaos

L’action, même si elle est mineure, correspond véritablement à un besoin et une demande générale pour des théories mathématiques. Au niveau des problématiques du chaos (et de la turbulence) les besoins sont importants et ces recherches profitent de cette aubaine. A travers les multiples projets financés, nous allons voir dans quelle mesure les ATP répondent aux attentes de ce champ de recherche, en France. Voici l’essentiel de la liste des ATP de 1977 à 1982 concernant le sujet.

• Le premier mouvement, en 1977, voit une ATP "Etude théorique et numérique des systèmes non linéaires", constituée de la fusion de trois sous projets : "Etude qualitative de l’évolution d’une classe de système dynamique" (dirigé par C. Bruter, Maître de Conférence à l’Université de Brest), "Modélisation non linéaire d’un système déformable" (dirigé par Carasso, Maître de Conférence en Mathématiques Appliquées à Saint-Étienne) et "Traitement spécifique des singularités" dont s’occupe I. Gumowski. De manière assez symbolique, le groupe de Mira et Gumowski participe à cette toute première ATP "Mathématique pour l’ingénieur" 1755 , en étant institutionnellement détaché du LAAS.

• Les attributions de 1978 sont plus étendues et donnent lieu à une multiplication des disciplines investies (physique, Mécanique, automatique, biophysique, géologie, astrophysique). Le thème du chaos est présent dans un projet intitulé "Systèmes dynamiques". Il réunit deux thématiques : "Stochasticité des systèmes dynamiques déterministes", organisée par Jean Coste (Directeur de Recherche au Laboratoire de Physique de la Matière Condensée (LPMC) à Nice) 1756 et "Etude numérique et analytique de systèmes non linéaires non intégrables" (projet géré par Froeschlé et Montes, à l’Observatoire de Nice) 1757 . Dans le premier cas, il s’agit du groupe de Coullet et Tresser 1758 , le second se développe au laboratoire dans lequel travaille M. Hénon.

• Le renouvellement de l’offre en 1979 trouvent des échos encore plus importants sur la thématique. En effet, l’appel d’offre est lancé sur le thème "Méthode de calcul ; Modélisation ; Phénomènes stochastiques" et l’essentiel des projets proposés sont orientés vers le non linéaire, la stochasticité dans les systèmes déterministes et quelques variantes. Pêle-mêle on cite 1759  : "Modélisation et résolution numérique de problèmes non linéaires" 1760 , conduit par P. Raviart, "Equations non linéaires : Méthodes de cheminement et stabilité" 1761 , "Aspects théoriques et numériques de la transition vers la turbulence et / ou la stochasticité" 1762 , dirigé par Gérard Iooss.

• Les projets engagés les années suivantes (1980-83 pour notre étude) privilégient les mêmes thématiques, en parfait accord avec les appels d’offre (l’ATP "Application des mathématiques pures" en 1981 est lancée sur les thèmes : théorie et application des bifurcations, problèmes stochastiques de la physique théorique, Equations aux dérivées partielles non linéaires de la physique mathématique). Concernant spécifiquement le thème du chaos, on peut citer quelques ATP ciblées :

* l’ATP proposée par José Argémi, du LMA, sur laquelle nous reviendrons.

* "Systèmes dynamiques – Analyse différentielle et application de la bifurcation" en 1982 (conduite par G. Iooss, à Nice)

* "Systèmes dynamiques modèles et transition vers la turbulence", en 1981, gérée par Arnéodo, Coullet et Tresser, au LPMC, à Nice.

* en 1982, "Stochasticité et exposants de Lyapounov des systèmes dynamiques à nombre variable de degrés de liberté – Applications à la mécanique céleste" (projet de J.C. Fernandez et C. Froeschlé à l’Observatoire de Nice) 1763 .

L’analyse de tous ces projets permet de dégager plusieurs tendances. Tout d’abord, il existe autour de 1980 un potentiel de recherche dispersé en France, sur le thème du chaos et du non linéaire. Dans plusieurs cas, comme l’observatoire de Nice, le groupe de Toulouse, le LMA, il ne s’agit pas de recherches de circonstances, mais le résultat d’une histoire. Pour d’autres, comme Coullet et Tresser, le financement, sans être décisif dans leurs recherches, arrive à point, quelques temps après leurs débuts sur l’universalité dans le chaos.

Sur les ATP en question, il faut aussi remarquer qu’une grosse partie des sommes engagées concerne l’achat de machines à calculer ou d’heures de calcul (sur CIRCE notamment) 1764 . Les ATP répondent manifestement à un manque sur ce point, dont on a vu qu’il est récurrent en France.

D’une manière générale, on peut affirmer que le thème du chaos a profité des ATP de mathématiques ; il était par excellence le sujet au carrefour des mathématiques, des simulations numériques et des autres disciplines. Pour ces recherches atypiques, les demandes de financement ont été importantes 1765 et il existait peu d’alternatives pour obtenir des crédits pour ce type de recherches.

Quelle importance l’action a-t-elle eu pour le champ du chaos en France ? Il est difficile de l’estimer autrement que très globalement, mais il est symptomatique que, mis à part les scientifiques de l’IHES (Ruelle et ses collaborateurs) et du CEA (Pomeau et Manneville, Bergé et Dubois) qui bénéficient de leur circuits de financement (et de l’ATP précédente sur les instabilités), les chercheurs investis dans le chaos ont tous profité de l’occasion.

Notes
1755.

Archives du CNRS, G-850117 Art 4-7.

1756.

Archives du CNRS, G-850117 Art 4-7.

1757.

Archives du CNRS, G-850117 Art 4-7.

1758.

Nous renvoyons au chapitre 5 et à nos analyses concernant les travaux de P. Coullet et C. Tresser (cf. p. 329).

1759.

Parmi les demandes, nous en ajoutons une, dont nous ne savons pas si elle a abouti, "Etudes des phénomènes stochastiques". Il s’agit d’un projet dirigé par B. Souillard avec l’idée de constituer un "Groupe de travail mathématiciens-physiciens sur les phénomènes stochastiques" en collaboration avec le Centre de Physique Théorique, le Laboratoire de Physique des milieux ionisés de l’Ecole Polytechnique et le Laboratoire de Calcul des Probabilités de Paris VI. Archives du CNRS, G-850117 Art 4-7.

1760.

Cela inclut trois projets de P. Raviart (Laboratoire d’Analyse Numérique Paris VI), Cabannes (Laboratoire de Mécanique théorique, sur un projet : "Vibrations non linéaires avec frottement et avec obstacle"), Euvrard (Laboratoire d’Hydrothermodynamique, sur : "Mise au point d’un code de calcul pour les efforts hydrodynamiques s’exerçant sur les structures off-shore"). Archives du CNRS, G-850117 Art 4-7.

1761.

Associe J-M Lasry (CEREMADE, Université Paris IX), Mignot (Université Lille I) et Maître (Ecole Centrale de Lyon). Archives du CNRS, G-850117 Art 4-7.

1762.

Le projet met en collaboration plusieurs laboratoires : l’Equipe de mécaniciens théoriciens et numériciens du Laboratoire J.A. Dieudonné, Nice / l’Equipe de Mécanique Statistique de la Faculté des Sciences de Nice / l’Institut de Mécanique des Fluides de Marseille / l’Observatoire de Nice / le Laboratoire d’Aérothermie du CNRS. Archives du CNRS, G-850117 Art 4-7.

1763.

Ce sont quelques exemples pris dans les dossiers d’ATP, parmi les plus représentatifs de notre perspective. Archives du CNRS, G-850117 Art 4-7.

1764.

Un sondage dans l’ensemble des dossiers (et non pas uniquement les ATP sur le "chaos") nous le confirme.

1765.

Le budget par projet n’est pas très important (entre 5000 Frs et 200 000 Frs pour de très rares projets), mais la multiplication de ces faibles budgets dépasse le budget global fixé. L’attribution pour chaque dossier correspond à peu près à une réduction de 20% par rapport à ce qui est demandé (ce qui n’a rien d’étonnant en soi). Vu les sommes très faibles allouées globalement aux ATP de Mathématique, ce décalage, qui relève d’une simple question de partage, est tout à fait compréhensible.