b. La prospective en mathématiques

L’idée est lancée en 1983 1780 et se concrétise avec la rédaction d’un premier Rapport de Prospective en mathématique en 1985 1781 . Le rapport est difficile à analyser parce qu’il semble pris entre de multiples tendances. Selon les spécialités, le texte est tout différent : au sujet de la "théorie des nombres", on reste dans le développement internalisant et l’analyse se limite à la conjoncture. L’ouverture est par contre manifeste sur des thèmes plus naturellement tournés vers l’extérieur comme la "physique théorique", "théorie des jeux et applications économiques" ou "les applications des mathématiques à la biologie".

Les propositions et les suggestions sont finalement peu originales et le monde académique domine le rapport à quelques exceptions près, mais qui font tout l’intérêt du document : les équations aux dérivées partielles et la Mécanique. A ce sujet, les propos sont les premiers échos véritables de ce qui avait été souligné en 1969. Les mathématiques dites appliquées sont à l’honneur dans cette partie, associées à l’ordinateur, la modélisation et la simulation numérique.

Ainsi "l’apparition, sur une grande échelle, des équations aux dérivées partielles dans le monde industriel est, bien entendu, avant tout une conséquence de l’évolution des ordinateurs" 1782 . L’usage grandissant de l’ordinateur est le résultat de la complexité des équations, de l’impossibilité d’en trouver des solutions explicites (même pour des équations simples) : ceci n’est que le reflet de questions industrielles elles-mêmes plus difficiles. Les investissements et la compétition dans différents domaines ont conduit à développer des activités de simulation, moins coûteuses, dont la réalisation nécessite le plus souvent une analyse mathématique. Et de tirer deux conclusions :

‘"[…] les problèmes de la physique macroscopique et en particulier ceux qui sont issus de préoccupations industrielles sont appelées à prendre une place de plus en plus grande dans les activités des mathématiciens appliqués (ou même purs) ; le rôle de ce type de problème devient comparable à celui tenu dans les années précédentes par la Physique Théorique.’ ‘[…] la séparation qui existe en France entre Mathématiques pures et appliquées, si elle permet de rédiger des rapports est par ailleurs grotesquement excessive ; le succès des EDP devrait susciter des expériences vers les applications dans bien d’autres domaines (Analyse de Fourier, Géométrie Différentielle et même Théorie des Nombres)." 1783

En outre, les auteurs du chapitre de Mécanique (et météorologie) insistent sur le rôle moteur que joue la Mécanique dans les relations avec les "sciences appliquées à la technique". Incontestablement, l’"esprit SPI" a bien pénétré ce domaine qui présente la notion de transfert comme déterminante 1784 .

Ce rapport est en fait inscrit dans un mouvement plus général d’évolution des mathématiques et de débats sur la place des mathématiques dans la science, l’industrie et la société. L’exemple de réflexion le plus achevé est certainement le colloque de 1987, "Mathématiques à venir. Quels mathématiciens pour l’an 2000" 1785 , organisé par la Société Mathématique de France et la Société de Mathématiques Appliquées et Industrielles, qui se veut un colloque de prospective. Toutes les tendances analysées précédemment s’y retrouvent, largement plus développées, analysées et approfondies. Insistons rapidement sur quelques points. D’abord le faible poids donné à des exposés sur les mathématiques "pures" et, en comparaison, l’importance des autres branches de la science, de l’industrie et de la société. Ensuite les intervenants ne sont pas exclusivement des universitaires ou des chercheurs CNRS mais aussi des industriels (Elf Aquitaine, IBM, Thomson-CSF, etc.). Enfin, la modélisation et l’informatique sont véritablement au cœur des principales problématiques. On pourrait dire que ce colloque constitue un complément unique aux prospections établies par le Comité National, beaucoup plus contraint par un découpage en disciplines et spécialités.

Notes
1780.

On trouve une première trace de cette intention dans le Rapport d’activité du CNRS, 1983. Si on parle de prospective en mathématiques avant, c’est souvent pour souligner l’impossibilité de faire de la prospective.

1781.

Il a été publié aux Editions du CNRS : [CNRS, 1985].

1782.

[CNRS, 1985], p. 50.

1783.

[CNRS, 1985], p. 52.

1784.

"Un difficile équilibre doit être trouvé entre la production, la demande et le transfert de connaissances" ce dernier point devant faire l’objet d’un effort particulier, par la rédaction de travaux de synthèse et des échanges bannissant tout pratique ésotérique. [CNRS, 1985], p. 55.

1785.

"Mathématiques à venir", Bulletin de la SMF, tome 115, supplément 1987.