b. La création de l’Institut Non Linéaire de Nice (INLN)

L’INLN est construit à Nice, en 1991, lieu où Hénon, qui a travaillé longtemps sur les systèmes dynamiques conservatifs (avec d’autres astrophysiciens comme Cl. Froeschlé et J.P. Scheidecker) exerce depuis 1968, et où Coullet et Tresser ont développé leurs idées sur l’universalité du chaos, en 1977-8. Depuis il s’est crée un pôle de recherche sur la dynamique non linéaire, qui a profité de quelques ATP de mathématiques 1840 . Le nouveau laboratoire vient entériner une histoire, une culture locale du non linéaire et du chaos.

Il est également le fruit du changement de politique au niveau du CNRS. En effet, le laboratoire est une initiative du CNRS, financée au départ par le CNRS, qui deviendra unité mixte CNRS-Université. Il est en quelque sorte le produit d’un dialogue à trois : Daniel Thoulouze, Pierre Coullet et Gérard Iooss, les deux premiers directeurs du laboratoire. Le CNRS a eu un impact décisif au sens où l’université locale n’était pas assez dynamique pour fédérer le potentiel important qui existait alors à Nice 1841 .

L’INLN nous donne l’occasion de saisir les difficultés d’institutionnaliser l’interdisciplinarité et les nouvelles pratiques scientifiques. En effet, il s’agit d’un institut de recherches pluridisciplinaires dont les missions sont l’étude de la dynamique des systèmes et de la complexité qui peut en résulter, et l’enseignement des mathématiques, de la Mécanique et de la physique (avec un accent tout particulier pour l’utilisation des technologies de l’information). Nous nous appuyons sur quelques informations distillées dans une Lettre SPM de 1995 1842  :

‘"Le pari fait par ses fondateurs était de mettre en contact mathématiciens et physiciens expérimentateurs avec une population intermédiaire de mathématiciens appliqués, de mécaniciens et de physiciens théoriciens" 1843 sur le thème commun de la dynamique. ’

Une autre spécificité de l’Institut est que "La simulation numérique, en particulier sous une forme interactive et visuelle où l’aspect qualitatif l’emporte sur les aspects quantitatifs" 1844 . Et de conclure naturellement : "Les résultats obtenus à ce jour montrent que ce pari a été gagné" 1845 .

Onze années plus tard, les mots de 2002 montrent l’ampleur et la difficulté des changements. Le laboratoire est organisé en équipes, dont on peut consulter les rapports 1846 . Par exemple, l’équipe 1 ("Instabilité et Phénomènes hors d’équilibre") se veut fortement pluridisciplinaire (biologie, physique du solide, Mécanique des fluides, optique) et cherche une relation très forte à la fois avec les mathématiciens et les expérimentateurs. L’équipe 2 ("Bifurcations et systèmes dynamiques") rappelle également que la présence des mathématiciens de la dynamique non linéaire est déterminante (depuis le début de l’INLN). Les auteurs poursuivent :

‘"Ceci ne veut pas dire que nous attendions nécessairement des publications communes entre chercheurs dont les disciplines (Mathématiques, Physique, Mécanique) sont gérées par des instances très monodisciplinaires (aussi bien au CNRS qu’à l’université) [...] La pluridisciplinarité est certes encouragée officiellement (et oralement), mais les structures de recrutement ne sont visiblement pas encore adaptées." 1847

Ceci relativise considérablement les discours sur l’interdisciplinarité servis depuis la fin des années 1980 et on peut insister sur ce point : il ne s’agit pas tant des mentalités des chercheurs que des structures d’évaluation et de recrutement qui sont mises en accusation.

En outre, l’importance des mathématiques dans cet institut est pleinement reconnue. L’équipe d’expérimentateurs 1848 souligne :

‘"La présence de mathématiciens à l’intérieur de l’Institut (Equipe 2) est également un atout essentiel et une grande source d’inspiration face à la complexité des phénomènes étudiés et constitue un facteur clef de compétitivité à l’échelle internationale" 1849 . ’

En définitive, l’interdisciplinarité n’est pas qu’une question de décret. Elle se cultive et l’INLN nous montre qu’une installation fructueuse repose sur l’existence d’un potentiel très fort, ayant pu s’exercer pendant plusieurs années à la confrontation (et à la symbiose) des disciplines. D’un autre côté, le CNRS a favorisé cette création dans le cadre d’une action volontariste axée sur l’interdisciplinarité mais la pleine réussite de l’initiative demande, en plus du changement de mentalité opéré, un changement très global des structures d’évaluation et de recrutement. L’INLN est tout de même une réussite pour le SPM et le groupe du non linéaire de Nice 1850 .

Notes
1840.

Nous renvoyons page 701.

1841.

Nous nous appuyons sur nos entretiens, réalisés séparément, avec D. Thoulouze, P. Coullet et G. Iooss.

1842.

La Lettre SPM n°26, Avril-mai 1995 consacre un article à l’INLN.

1843.

Lettre SPM n°26, Avril-mai1995, p. 10.

1844.

Ibid., p. 11.

1845.

Ibid., p. 11.

1846.

Les rapports sont disponibles en ligne sur le site du laboratoire : www.inln.cnrs.fr

1847.

Rapport de l’UMR 6618 publié sous la direction du Professeur Jorge Tredicce en juillet 2002 et couvrant la période 1999-2002, Equipe 2, p. 3.

1848.

Il s’agit de l’équipe 6, "Approche expérimentale des phénomènes hors d’équilibre" dont l’intitulé avant 2002 était "Expérimentation des Systèmes Dynamiques Réels".

1849.

Rapport de l’UMR 6618 publié sous la direction du Professeur Jorge Tredicce en juillet 2002 et couvrant la période 1999-2002, Equipe 6, p. 3.

1850.

Pierre Coullet se laisse tout de même aller à quelques regrets (quelques "naïvetés") : le groupe interagissait avec plusieurs autres laboratoires, en France notamment. La création de l’INLN a concentré à Nice un potentiel local important, mais a réduit par là même ces interactions externes si fructueuses. Entretien avec P. Coullet, 12 mars 2004.