b. Les oscillations des machines, 1885

Léauté s’est intéressé au fonctionnement des machines en général. Pour ce que nous voulons inscrire en parallèle aux travaux de Poincaré, c’est son mémoire de 1885 que nous retiendrons 1890 . Il s’agit d’une étude des machines actionnées par des moteurs hydrauliques, moins utilisées et moins maîtrisées que les machines à vapeur. Elles prennent néanmoins une place grandissante dans le système technique : Léauté entend combler un vide laissé par les savants sur la question des oscillations dans la vitesse fournie par ces machines. Le but de son mémoire est d’étudier les oscillations continues de la vitesse du moteur et de définir des moyens de stopper ces oscillations. La question n’est pas tout à fait neuve : les oscillations apparaissent également dans les machines à vapeur, mais le problème est suffisamment différent du cas présent pour que les théories déjà développées ne puissent pas être transposées simplement.

Une question technique est donc au cœur de l’étude de Léauté en 1885. L’intérêt pratique en est souligné d’emblée. Les données théoriques manquent et les constructeurs en sont réduits à "combattre ces oscillations sans bien se rendre compte des causes qui les produisent" 1891  : le mémoire présenté par Léauté vise ainsi à "mieux saisir le mécanisme", en "fixer les causes" et à "chercher les moyens d’y remédier" 1892 . Léauté cherche donc une théorie pour ces machines afin de mettre un terme à un certain empirisme dans la pratique de l’élimination des oscillations. Plus que les résultats effectifs, son cadre théorique, l’analyse mathématique et la discussion des résultats nous intéressent au premier chef.

Expliquons brièvement le problème posé par ces machines. Une machine hydraulique est composée d’un moteur et d’une admission d’eau, réglée par une vanne et commandée par un régulateur. Ceci est valable également pour les machines à vapeur. La différence essentielle entre les deux types de machines est la suivante : avec les machines à vapeur, il y a une action directe du régulateur sur la vanne, alors que pour les machines hydrauliques cette action est indirecte. Dans le second cas, le régulateur commande un système d’embrayage du système d’ouverture de la vanne. Une fois embrayé, le système d’ouverture et fermeture de la vanne est actionné grâce à l’énergie produite par la machine (autrement dit une partie de la puissance développée par la machine est utilisée pour actionner la vanne).

Sous action indirecte, le système vanne-régulateur-moteur n’entre pas toujours dans un régime de vitesse d’équilibre. Les problèmes surviennent lorsque la puissance demandée est perturbée (enclenchement d’une machine outil par exemple) : une modification de la résistance altère le régime de vitesse installé. Il faut ensuite déterminer s’il va converger vers une nouvelle position d’équilibre ou entrer en oscillation (les deux possibilités ont été observées empiriquement).

Léauté propose de voir l’évolution de la machine dans un diagramme plan, où l’axe des abscisses correspond à l’ouverture de la vanne, l’ordonnée à la vitesse du régime du moteur. Il définit une notion de cycle : "un circuit représentatif formé de quatre périodes : période d’immobilité de la vanne à vitesse croissante, période de fermeture, période d’immobilité de la vanne à vitesse décroissante, période d’ouverture" 1893 .

Plusieurs définitions lui succèdent. Celle de cycle fermé : "il peut arriver que le point terminal du cycle coïncide avec le point initial et que, dès lors, on soit en présence d’oscillations se reproduisant indéfiniment dans des conditions identiques, c’est le cas du cycle fermé" 1894 . Cette correspondance entre oscillation et cycle fermé est toute naturelle dans l’esprit de Léauté, c’est en tout cas l’impression qui se dégage de la suite de définitions et de remarques sur les cycles.

L’étude du régime des vitesses revient ainsi à l’étude des cycles. C’est pourquoi Léauté s’attache à déterminer les équations des portions de cycles et en cherche les propriétés 1895 . Il compte établir des résultats d’une certaine généralité en mettant de côté les particularités relevant d’un moteur donné. Citons quelques conclusions de Léauté, d’ailleurs appelées "théorèmes" :

‘"Théorème I. – Deux courbes de déplacement quelconques, appartenant ou non à une même ligne figurative, ne se coupent jamais à moins de coïncider." 1896

De quoi il conclut : "les différents cycles correspondant à une ligne figurative s’enveloppent toujours sans se rencontrer" 1897 . Le problème est, rappelons-le, de déterminer l’état final de la machine ayant subie une perturbation de la résistance, laquelle a induit un changement de régime. Ainsi, il tire une conséquence particulièrement évocatrice au sujet de ce problème :

‘"s’il existe un cycle fermé représentant l’état final de la machine à la suite d’une perturbation, les cycles successifs qui constituent la ligne figurative de cette perturbation s’en rapprochent indéfiniment, soit par l’intérieur, soit par l’extérieur, puisqu’ils ne peuvent se couper entre eux ou couper le cycle fermé limite." 1898

En complément, et après plusieurs résultats, il en arrive à une seconde conclusion :

‘"lorsqu’il existe un cycle fermé, il n’en existe qu’un seul, et que ce cycle, complètement indépendant de l’état initial de la machine, est la ligne asymptotique de toutes les lignes figuratives quand on les parcourt dans le sens convenable." 1899

Toute la suite du travail de Léauté est alors orientée vers la recherche de conditions pour qu’il n’existe pas de cycle fermé, et donc pas d’oscillations possibles.

Notes
1890.

[LEAUTE, H., 1885] "Sur les oscillations à longues périodes dans les machines activées par des moteurs hydrauliques et sur les moyens de prévenir ces oscillations" par H. Léauté.

1891.

Ibid., p. 2.

1892.

Ibid., p. 4.

1893.

Ibid., p. 13.

1894.

Ibid., p. 14 (En italique dans le texte).

1895.

Sur la figure, les courbes à déterminer, mathématiquement, sont celles de fermeture et d’ouverture de la vanne, obtenues moyennant quelques approximations.

1896.

Ibid., p. 71. La "ligne figurative" correspond à la ligne suivie, sur le diagramme, par l’état de la machine. Un cycle, tel que le définit Léauté, est une ligne figurative qui a effectué un tour sur elle-même (retour à la même ordonnée que celle du point initial (voir la Figure).

1897.

Ibid., p. 72.

1898.

Ibid., p. 72.

1899.

Ibid., p. 76.