1.2.Notion d’inégalité dans les transports

1.2.1.Des différences aux inégalités

Appliquons ce concept complexe d’inégalité au domaine des transports. Tout d’abord, les comportement de transport diffèrent entre les individus selon plusieurs facteurs déterminants : le besoin de se déplacer varie en fonction du sexe, de l’âge (position dans le cycle de vie ou génération), de la position dans la famille, de la localisation géographique (densité, proximité des infrastructures de transports,…).

Ces différences peuvent se manifester selon beaucoup de dimensions, une a été retenue dans notre analyse : le niveau de mobilité. Les différences deviennent des inégalités quand elles reflètent une discrimination entre certains groupes de la population. Autrement dit, cette discrimination se manifeste quand certains groupes se trouvent toujours en bas de l’échelle pour les différents indicateurs de mobilité ou de motorisation. Ces groupes peuvent s’identifier à partir de plusieurs variables, le critère le plus important étant le facteur socioéconomique représenté par le revenu. Cependant, la frontière entre « différence » et « inégalité » est très ténue. Sa détermination est analogue au problème du discernement entre les résultats provenant du choix d’un individu et les résultats provenant des contraintes qu’il subit, problème évoqué par John Roemer. Une solution pour minimiser ce biais est la classification de la population qui conduit aux contrôles des facteurs déterminant la mobilité. Avec une bonne classification, nous pouvons espérer obtenir une homogénéité des individus dans chaque classe ou groupe qui conduit à des besoins similaires.

Les comportements de transport, représentés notamment par le niveau de mobilité, sont très affectés par la situation géographique de la zone de la résidence. La densité de la commune, les réseaux de transport disponibles et les distances au centre et au travail déterminent la fréquence, la distance, la vitesse et la durée de déplacement ainsi que le choix du mode de déplacement. Par exemple, la mobilité des Parisiens se caractérise par de fortes fréquences de déplacements, plutôt à pied ou en transports collectifs, et de faibles distances parcourues à vitesse modérée.

Les comportements de mobilité sont également déterminés par la catégorie socioprofessionnelle et la position dans le cycle de vie. Les actifs sont la catégorie la plus mobile alors que les inactifs sont les moins mobiles. La mobilité des actifs est très liée à la voiture particulière alors que celle des inactifs (les retraités, les chômeurs, et les femmes/hommes au foyer) est liée à la marche à pied. Un autre groupe inactif, les élèves/étudiants, connaît cependant une mobilité très attachée aux transports collectifs.

La mobilité est aussi déterminée par le sexe et par la position d’individu dans le ménage. Les hommes, désignés comme personne de référence du ménage dans la plupart de cas, connaissent un niveau global de mobilité plus élevé que les femmes, notamment en ce qui concerne les déplacements en automobile. Cependant, selon presque tous les indicateurs du niveau de mobilité, nous constatons une diminution certaine des écarts entre les femmes et les hommes au cours du temps.

Enfin, les revenus et la motorisation jouent aussi des rôles incontournables. Les individus aisés sont en général plus mobiles que les individus modestes. La mobilité des riches est aussi plus liée à la voiture particulière alors que celle des modestes est liée aux autres modes. Le taux de motorisation détermine la mobilité à peu près de la même façon que les revenus ; de plus, il a des coefficients de corrélation plus élevés avec les indicateurs du niveau de mobilité. Ceci est logique car il y a une corrélation très forte entre les revenus et le taux de motorisation à une date donnée. Le taux de motorisation n’est qu’une manifestation directe de l’influence des revenus sur la mobilité. Beaucoup des autres facteurs comme le niveau d’éducation, l’origine ethnique, la structure de ménage, ... peuvent aussi être considérés.

Nous constatons que certains groupes d’individu privilégient les déplacements motorisés (automobile, TC), d’autres la marche à pied. Certains groupes se déplacent plus que les autres. S’agit-il d’inégalités ? Nos observations indiquent que les individus favorisés déjà par leurs conditions socioéconomiques et démographiques (les riches donc les plus motorisés, les hommes, les actifs, les diplômés de l’enseignement supérieur,…) bénéficient également de niveaux élevés de mobilité en modes motorisés et ont des niveaux faibles de mobilité à pied. D’un autre côté, les individus relativement défavorisés (bas revenus donc peu motorisés, les femmes, inactifs non diplômés,…) semblent associés aux niveaux faibles de mobilité en modes motorisés et aux niveaux élevés de déplacement à pied. Quand la discrimination entre certains groupes dans la population existe, on peut parler d’inégalité.

Cependant, ce jugement simplifie trop le problème, car la mobilité individuelle est déterminée au moins par trois facteurs : la géographie, les rôles sociaux et la contrainte économique. Les différences dans la zone de résidence ou dans la catégorie socioprofessionnelle conduisent à différentes caractéristiques de la mobilité ; et ces différences peuvent être considérées comme « justes » dans la plupart des cas. Un niveau de mobilité plus élevé chez les actifs par exemple, peut signifier que les actifs ont plus de ressources ou plus de possibilités de se déplacer plus loin, plus souvent ou plus vite que les inactifs. Mais il se peut aussi que ce niveau élevé de mobilité traduise la contrainte de travailler loin de leur domicile. Prenons un autre exemple : les femmes ont en moyenne un niveau plus faible de mobilité que les hommes. Ceci peut indiquer qu’elles ont moins de d’opportunité ou de possibilité que les hommes ; mais il se peut aussi que les femmes en tant que conjointes ou inactives n’aient pas besoin de se déplacer autant que les hommes. Un actif parisien se rend à son travail en utilisant les transports collectifs ou même à pied alors qu’un actif de Grande Couronne vient au travail en voiture particulière. Il n’y a probablement aucune injustice dans ces différences.

Si nous pouvons contrôler la répartition spatiale et les rôles sociaux, nous obtenons des comportements de déplacement plus homogènes. A l’intérieur de ces groupes d’individus homogènes, les comportements de déplacement ne devraient pas trop varier. Les variations observées sont liées aux différences de revenu. Nous pouvons donc considérer cette variance comme inégalité par rapport au revenu.

Nous avons contrôlé le facteur spatial en analysant la mobilité séparément chez les habitants de Paris, de la Petite et de la Grande Couronne. Chez les Parisiens, une mobilité modérée en transports collectifs domine, alors qu’en Petite ou Grande Couronne, c’est une utilisation modérée de la voiture qu’on rencontre le plus. Le fait de s’écarter de ces comportements majoritaires constitue une indication de l’inégalité que subissent certains individus. Nous retrouvons parmi ceux-ci les individus dont les conditions socioéconomiques sont déjà défavorisées, ce qui confirme nos résultats précédents. En outre, ces individus ont tendance à se déplacer très souvent à pied, donc sur des distances très limitées.