Je suis instit, mais si je voulais...

Cette formule, si tous les enseignants du premier degré ne l’ont pas prononcée, tous l'ont entendue. Elle fait partie des discours convenus entre enseignants, au même titre que les déplorations rituelles concernant la prétendue "baisse du niveau", ou les innombrables péripéties de la quête du Graal didactique autour de LA méthode de lecture. Sa forme elliptique engage une part importante d’implicite qui pourrait bien se rattacher à des processus de compensation. Être instituteur, voilà bien une position sociale prégnante : connue de tous, elle présente un caractère d’évidence dans sa représentation commune. Un premier mouvement de compensation peut donc s’opérer en réaction à cette sorte de transparence sociale, par le refus de se laisser réduire à une appartenance professionnelle, à une étiquette ou une essence sociale. On peut donc comprendre notre formule comme « je suis instit, mais pas seulement. Et si je voulais, je ferais autre chose ».

Mais le métier d’instituteur est également soumis à une forte domination symbolique dans le champ de l’enseignement : situé au bas de l’échelle des salaires, au bas de l’échelle des certifications universitaires, au bas de l’échelle du prestige social, au bas de l’échelle du volume de travail contraint... il offre bien peu de “profits de distinction” ( 19 ). La mobilité professionnelle –même virtuelle– peut donc représenter un enjeu important au niveau individuel, puisque le fait d’évoquer –même évasivement– ses potentialités de départ permet d’alléger le poids de la domination symbolique qui pèse sur le groupe. On peut donc comprendre notre formule comme : « je suis instit, mais si je voulais... je pourrais faire autre chose » (sous-entendu : de forcément mieux, si l’on considère la position relative du métier d’instituteur). Cela peut se condenser par un jeu de mots entendu lors d’un entretien : « je suis demeuré instit, mais je ne suis pas un instit demeuré ».

Notes
19.

 Même si la création du corps administratif des professeurs d'école a "redoré le blason" des enseignants du premier degré, comme nous le verrons par la suite.