Quitter la classe ? Mais c’est impossible !

Cette deuxième réaction, symétrique de la première, nous semble engager deux significations. Énoncée sur le ton de l’évidence, cette affirmation tient souvent lieu d’argumentaire à la plainte, voire à la lamentation sur soi ( 20 ). Et la suite, souvent implicite, pourrait se résumer en une formule comme : « Sinon, vous pensez bien, il y a longtemps que je serais parti(e) ». L’émetteur peut alors détailler tous les aspects proprement insupportables de la condition enseignante comme "la baisse du niveau", les exigences croissantes et contradictoires des parents, la perte de repères et du goût de l’effort des élèves...

Cela rejoint une certaine vision du métier d’instituteur, fondée sur la conviction selon laquelle « il est trop difficile d’en sortir. Par contre, il est trop facile d’y entrer sans qualification et sans vocation. » ( 21 ). Cette impression d’être "pris dans une nasse" s’appuie, d’une part, sur un état antérieur du système éducatif dans lequel les recrutements de suppléants étaient massifs, et, d’autre part, sur une dévaluation radicale de "l’employabilité" des enseignants. En ce qui concerne le premier volet, il convient de rappeler l’actuel afflux de candidats dans les IUFM, le tarissement des recrutements parallèles et le durcissement de la sélection qui en résulte. Pourtant, notre enquête de terrain nous a montré que les membres de la profession –et les personnes qui l’ont quittée– restent souvent persuadés qu’on devient, encore aujourd’hui, instituteur "faute de mieux", comme un moindre mal. On connaît l’inertie des représentations sociales et leur résistance aux évolutions en cours, mais nous avons affaire ici à un “ancrage” particulier, dont la persistance nous semble pouvoir être rattachée à une représentation négative du métier d’instituteur. En ce qui concerne le deuxième volet de l’affirmation (portant sur l’impossibilité de sortir de ce milieu professionnel), on peut facilement noter sa faiblesse d’étayage pragmatique en interrogeant ceux qui avancent ce genre de discours. On constate alors qu’ils n’ont rien entrepris pour changer de métier, pas même une recherche d’information ou de contact, ni aucune forme de bilan de compétences. Ainsi, les formules du genre « je reste parce que je ne sais rien faire... (d’autre que la classe) » renvoient d’abord à l’analyse des possibilités de mobilité professionnelle que nous aborderons à propos de la délimitation de notre objet. Cela renvoie également à toutes les formes de dénigrement des enseignants du premier degré, y compris l’autodénigrement qui semble courant. Car l’évaluation de la mobilité professionnelle en cours de carrière des enseignants du premier degré engage la valeur que l’on attribue au métier et à ses membres. C’est pourquoi nous allons à présent envisager différentes affirmations qui circulent sur le volume de la mobilité en cherchant à expliciter les significations implicites et les enjeux symboliques qu’elles recouvrent.

Notes
20.

 Les représentations sociales les mieux partagées attribuent d’ailleurs aux enseignants une propension à la déploration (infondée) sur soi.

21.

 Selon une formule recueillie par Ida Berger lors de son enquête auprès des instituteurs parisiens des années 70 cf. BERGER Ida, 1979, Les instituteurs d'une génération à l'autre, puf