III.1. Les "cheminements professionnels"

Avant de présenter les données que nous avons tirées de ce document, nous allons en indiquer rapidement la démarche générale. Nous retenons d’abord de cette recherche l’hypothèse générale selon laquelle les "cheminements professionnels" des instituteurs sont liés à la fois à des facteurs institutionnels, sociohistoriques et à des facteurs personnels. Dans la deuxième partie, l’auteur reprend un certain nombre de facteurs institutionnels : le déroulement de carrière et le passage d’échelon, les procédures d’affectation, les conditions d’exercice des instituteurs débutants, les modes de recrutement, les possibilités de promotion et de reconversion à l’intérieur et à l’extérieur de l’Éducation nationale. Il cite ensuite, comme facteurs socio-économiques, la perte de prestige du métier : « lente dégradation émanant de l’élévation du niveau culturel de la population et de la fin de l’école primaire comme entité autonome », et « l’émergence de l’enfant-roi » (p.94). Il cite enfin des facteurs liés au « contexte socio politico-économique » c’est-à-dire les périodes de croissance économique et celles de crise. Dans les facteurs individuels, l’auteur range les passions liées au métier ou à la « vie postscolaire », l’influence du conjoint et de la famille.

Devant la multitude des formes de cheminement professionnel, l’auteur propose une typologie des carrières selon trois modalités : “à vie”, “carriériste”, et “sortant”. La carrière d’instituteur “à vie” correspond à notre définition de "la position standard" mais dans un sens restrictif, car les différentes formes de spécialisation en sont exclues (et en particulier la direction d’école). La carrière d’instituteur “carriériste” englobe toutes les formes d’évolution professionnelle, allant du simple changement de poste de travail au sein de l'institutorat (direction d’école, instituteur spécialisé) jusqu’à la reconversion dans un autre ministère en excluant seulement les sorties de la fonction publique. On peut noter que le terme de “carriériste” est directement issu du monde social, en reprenant un préjugé dominant parmi les instituteurs, qui dévalorisent souvent la mobilité professionnelle et stigmatisent "l’ambition personnelle" des membres du groupe ne respectant pas une règle implicite de "modestie", c'est-à-dire de limitation des aspirations personnelles, sur laquelle nous reviendrons ultérieurement. Le dernier groupe des “instituteurs sortants” correspond aux personnes qui ne terminent pas leur carrière dans le cadre de la fonction publique.

En ce qui concerne les “instituteurs carriéristes”, l’auteur avance que « les perspectives de carrière pour un instituteur sont peu nombreuses » (p.97). Selon lui, les changements de fonctions sont essentiellement liés à deux facteurs : « une volonté de renouvellement professionnel ; la recherche de prestige et de reconnaissance sociale » (p.98). Évoquant les travaux sur la mobilité sociale, il affirme que « les instituteurs diplômés et issus d’un milieu social favorisé cheminent plus facilement dans le paysage des promotions professionnelles » (p.98). Cette affirmation –présentée comme une évidence– doit être confrontée à des données empiriques, c’est ce que nous ferons dans les chapitres sept et huit en croisant origine sociale et devenir professionnel. L’auteur indique enfin que les possibilités de promotion sont fortement liées à des décisions ministérielles (exemple de la création du corps des PEGC ou des conseillers pédagogiques). L’auteur annonce des conclusions qui recoupent certains éléments de notre recherche empirique, mais qui nous semblent manquer de nuances :

‘« Les premières conclusions de notre enquête montrent que les évasions vers d’autres métiers sont rarissimes. Les instituteurs sont dans un monde clos dans lequel il est difficile et angoissant de s’en sortir. Nous supposons que les instituteurs finissent par ressembler à l’institution qui les emploie en adoptant une attitude conformiste. Quant à ceux qui désirent quitter le ministère de l’Éducation nationale, notre enquête nous conduit à faire (provisoirement) les hypothèses suivantes : soit ils empruntent le chemin qui mène à un autre ministère (surtout par le biais des concours internes et du congé de mobilité), soit ils empruntent celui qui mène à la démission (c’est le cas des femmes essentiellement). Ajoutons que le secteur privé n’attire pas les enseignants. » (p.98).’

L’auteur indique ensuite des facteurs pouvant être à l’origine de ces changements : le décalage entre une image ancienne du métier et la réalité, des débuts difficiles, l’absence d’engagement décennal des suppléants, l’influence du milieu familial, et les multiples facettes du métier d’instituteur pouvant faire naître de nouvelles vocations.