III.2. Suivi de cohortes d’enseignants du premier degré

Au-delà du mouvement général de cette étude et malgré certaines interprétations qui nous semblent critiquables, nous avons retenu de l’enquête empirique une série de données que nous avons rassemblées dans le tableau suivant :

Tableau 13 : Cohortes d’instituteurs dans le département de l’Oise
position professionnelle
au moment de l’enquête
Femmes CAP 1950 Hommes CAP 1950 Femmes CAP 1970 Hommes CAP 1970 Ensemble
instituteur 18 13 34 13 78
directeur 20 18 12 13 63
instituteur spécialisé 4 3 2 4 13
psychologue scolaire 1   1   2
conseiller pédagogique   3   3 6
détaché MGEN   1   1 2
détaché associations       1 1
détaché CNED       1 1
IEN   1     1
directeur SES       1 1
directeur établissement spécialisé       1 1
professeur de collège 4 21 5 23 53
professeur de lycée professionnel       1 1
principal   4     4
conseiller d'orientation       1 1
conseiller formation continue   1     1
professeur d'université   1     1
détaché ministère de la justice   1     1
disponibilité   1 1 2 4
radiation 1 1   1 3
démission 2 3 1   6
exeat 11   10 6 27
dossier perdu 20 9 15 9 53
total 81 81 81 81 324
Source : CACHEUX, 1995 op. cit. pp.101-105
Lecture : parmi l’échantillon aléatoire de 81 femmes ayant obtenu le CAP d’institutrice en 1950 dans le département de l’Oise, 18 ont terminé leur carrière professionnelle dans une classe primaire, 20 l’ont fait en tant que directrice d’école, 4 en tant qu’institutrice spécialisée, 1 en tant que psychologue scolaire, 4 en tant que professeur de collège, 1 personne a été radiée, 2 ont démissionné, 11 ont obtenu un exeat et 20 n’apparaissent pas dans les archives.

Le premier élément qui se dégage des résultats présentés dans ce tableau est le nombre fort élevé des personnes dont les archives départementales ont perdu la trace au moment de l’enquête, puisque les deux dernières lignes "exeat" et "dossier perdu" concernent un quart de la population d’enquête globale et une fraction plus importante de certaines cohortes. On retrouve ici les limitations du travail sur archives que nous avons signalées dans la section précédente : seuls certains départs sont répertoriés par les services de gestion (et permettent d’établir les listes de destinations professionnelles) ce qui aboutit à des données lacunaires. Aussi, avant d’analyser les volumes et les répartitions de mobilité professionnelle, convient-il de s’interroger sur le sens de cette "évaporation" dans le suivi des cohortes.

Rappelons tout d’abord que l’exeat est une série de procédures administratives permettant aux instituteurs de quitter leur département de recrutement pour aller exercer dans un autre département. Le recrutement et la gestion de carrière des instituteurs (et des P.E.) étant réalisés au niveau départemental, l’exeat ne constitue pas un mouvement national accessible à tous les instituteurs en poste, mais reste plutôt conçu comme une gestion des exceptions. Pour avoir de bonnes chances d’aboutir, une demande d’exeat doit être motivée par des motifs médicaux ou “pour suivre son conjoint” en déplacement géographique pour raisons professionnelles. Si l’on fait l’hypothèse que les personnes ayant obtenu un exeat sont parties dans un autre département pour y poursuivre leur carrière d’instituteur selon des cheminements professionnels comparables à ceux des autres membres de la cohorte, on peut reprendre les calculs de fréquence en excluant la ligne exeat. L’échantillon des suivis de cohortes sera donc constitué dorénavant des personnes ayant obtenu le CAP d’instituteur et n’ayant pas quitté le département de recrutement par exeat.

En revanche, on ne peut pas éluder la ligne "dossier perdu" et calculer des fréquences sur les positions professionnelles connues sans remettre en cause la validité des résultats. En effet, le fichier du personnel comporte –par définition– la liste de tous les enseignants en poste dans le département et reste exhaustif pour la position standard. Mais il ne garde la trace que de certains départs, ceux qui sont effectués selon des modalités administratives particulières que nous avons présentées dans la section précédente.

Par ailleurs, le tirage au sort d’un nombre égal d’hommes et de femmes à chacune des deux périodes introduit une parité artificielle et rend l’échantillon non représentatif de la population globale qui comporte une proportion de femmes variable selon l’époque mais plus proche des trois quarts que de la moitié. On sait d’autre part que les institutrices sont moins fréquemment mobiles que les instituteurs. On peut donc en conclure que la moyenne arithmétique entre une cohorte d’institutrices et une cohorte d’instituteurs de même effectif ne peut refléter la situation globale qu’à la condition de pondérer les valeurs de la cohorte féminine (d’un facteur 3 si l’on admet l’approximation de 75% de féminisation).

Enfin, nous nous intéressons pour l’instant uniquement à la promotion des années 50 pour deux raisons. D’une part, c’est la seule qui soit parvenue en fin de carrière au moment de l’enquête permettant ainsi de raisonner sur la durée totale de la carrière. D’autre part, nous comparons les périodes de recrutement dans le chapitre neuf à propos des temporalités de la mobilité. Nous aboutissons ainsi au tableau des fréquences de mobilité professionnelle suivant :

Tableau 14 : Positions professionnelles en fin de carrière d’une cohorte recrutée en 1950 dans l’Oise, hors exeat (en%)
types de mobilité Femmes Hommes Ensemble
(estimation)
position standard 60 42 55
mobilités internes
dont mobilité de métier
promotion interne
mobilité catégorielle
7
1

6
40
5
1
33
16
2
1
13
mobilité externe 4 7 5
inconnu 29 11 24
total 100 100 100
Source : classements et calculs de fréquence à partir de CACHEUX, 1995 op. cit. pp.101-105
Calcul : les cases "ensemble" donnent des moyennes pondérées calculées selon un taux de féminisation de 75% : ((effectif féminin x 3) + effectif masculin) / effectif pondéré total
Lecture : parmi l’échantillon des femmes ayant obtenu le CAP d’institutrice en 1950 dans le département de l’Oise et n’ayant pas bénéficié d’un exeat, 60% ont terminé leur carrière professionnelle dans une classe primaire ou un poste relevant de la spécialisation dans le département, 7% ont effectué une des formes de mobilité interne, 4% ont effectué une mobilité externe et 29% ne figurent plus dans les archives départementales.

La première tendance forte que l’on peut retenir de ces résultats est l’importance du volume des départs, puisque le suivi de cohortes ne retrouve la trace que d’une personne sur deux encore en poste en fin de carrière. On doit donc revoir à la hausse les premières estimations de la mobilité professionnelle des enseignants du premier degré puisque presque la moitié d’une promotion ne termine pas sa carrière face aux élèves .

Mais une forte proportion de ces départs reste indéterminée puisque près d’un quart correspond à une situation professionnelle inconnue. Quelle signification peut-on attribuer à ces absences du fichier départemental ? La seule certitude est que cela ne correspond ni à la position standard, ni aux filières internes de l'institutorat, qui sont répertoriées de manière fiable par les services. Cela peut correspondre aux décès en cours de carrière ou à des sorties par exeat mal répertoriées. Mais les investigations menées par ailleurs (en particulier nos recherches sur les sorties "temporaires" présentées dans la section précédente) nous incitent à penser que la majorité des dossiers inconnus des services départementaux correspondent en fait à des mobilités professionnelles (externes pour la plupart puisque non répertoriées par les gestionnaires). Nous conservons donc dans notre analyse une ligne "inconnu" comptabilisant les dossiers perdus et correspondant à une sorte de mobilité en creux, que l’on peut formuler ainsi : "ne se trouve pas en position professionnelle standard ou de mobilité répertoriée".

Enfin, on peut remarquer, dans le tableau de résultats, que le nombre de dossiers perdus varie fortement entre les femmes et les hommes (selon un rapport 3), ce qui relève d’une autre tendance forte des résultats. On peut noter en effet dans le tableau précédent des différences importantes entre les destinées professionnelles des hommes et des femmes à l’issue de la carrière.

Premièrement, on relève des variations importantes en termes de volume, puisque six femmes sur dix ont accompli une carrière d’institutrice sans mobilité professionnelle, alors qu’à peine plus de quatre hommes sur dix ont eu le même type de carrière.

Deuxièmement, la répartition des formes de mobilité varie aussi fortement, puisque le type le plus fréquent pour les femmes est la perte des traces administratives alors que parmi les hommes c’est la mobilité catégorielle qui correspond à la fréquence la plus élevée après l’immobilité. Ces différences ne sont pas détaillées davantage pour l’instant car elles seront analysées dans le chapitre neuf à propos des variations des parcours de mobilité selon le genre.