III.3. Des archives rétives

À l’issue de cette deuxième approche quantifiée du volume de la mobilité professionnelle des enseignants du premier degré par suivi de cohortes, quelle synthèse peut-on effectuer ?

Premièrement, le suivi de cohortes aboutit à une estimation du volume des départs revue à la hausse par rapport à une première investigation année par année. La vision du “tous immobiles” ne tient plus, puisque seulement la moitié d’une promotion termine sa carrière en position standard répertoriée par les services gestionnaires. Cela confirme la nécessité de centrer notre approche sur les évolutions et les enchaînements, et constitue un argument supplémentaire pour analyser les dynamiques sociales, plutôt que d’en rester à des bilans statiques.

Deuxièmement, la démarche de suivi de cohortes n’est pas exhaustive dans sa délimitation. Elle se fonde implicitement sur une définition opératoire de l’objet empirique : on vise toute personne ayant réussi le certificat d’aptitude d’instituteur et n’exerçant plus. Cette définition a le mérite de la clarté et semble exhaustive. Pourtant, on élimine ainsi du champ des investigations toute une série de trajectoires professionnelles qui devraient en relever. Nous étudierons au chapitre neuf les "sorties précoces" de l'institutorat qui n’entrent pas dans la définition des cohortes mais relèvent de notre champ d’investigation. Si l’on se réfère à notre délimitation de l’objet empirique qui inclut les normaliens, on peut affirmer que les fréquences de mobilité professionnelle indiquées dans le suivi de cohorte sont sous-évaluées. Les réorientations après l’École normale ayant principalement alimenté le recrutement d’enseignants du second degré, c’est surtout la mobilité catégorielle qui doit être revue à la hausse.

Troisièmement, la démarche de suivi de cohortes n’est pas exhaustive dans sa mise en oeuvre. Pourtant, le suivi de cohortes paraît séduisant de prime abord : pour étudier la mobilité professionnelle des enseignants du premier degré, on s’intéresse au devenir professionnel de promotions d’instituteurs. Mais les données disponibles sont lacunaires par construction et non par accident, car les archives accessibles sont constituées pour gérer les carrières ordinaires et non pour dresser des bilans d’évolution sur le long terme. Cela aboutit pour les suivis de cohortes présentés plus haut à une "évaporation" et à une perte de données proches de 25% de l’effectif de départ.

On comprend donc pourquoi nous avons fait le choix de ne pas mettre en œuvre dans notre département d’origine un suivi de cohortes qui s’expose à un taux d’incertitude élevé tout en imposant d’importantes investigations. D’autant plus que cette démarche suppose que l’on puisse accéder à des archives exploitables : le changement de locaux de l’École normale de la Loire a causé la perte de nombreuses archives, en particulier les listes de lauréats du cap d’instituteur permettant d’établir les cohortes. Plutôt que de poursuivre dans cette voie, nous avons donc mobilisé d’autres sources de données et d’autres modes d’investigation pour établir un bilan quantifié.

Dans la section suivante, nous allons analyser des données de nature très différente, puisqu’elles sont exhaustives, de portée nationale et fondées sur une nouvelle définition opératoire de l’objet empirique : avoir figuré dans le fichier de paye des instituteurs en début de période et ne plus s’y trouver au moment de l’enquête.