IV. 2. Itinéraires professionnels entre 1978 et 1994

L’étude de la DEP fournit des éléments décrivant les “itinéraires”, c’est-à-dire la suite des positions professionnelles enregistrées à cinq moments de la période. Nous avons repris les données qui nous concernent dans le tableau de synthèse suivant :

Tableau 17 : Itinéraires des instituteurs relevés en 1978
          Homme Femme
        effectif % type effectif % type
I I I I I 15 481 52,4% déficitaire 51 517 67,5% caractéristique
I S S S S 1 639 5,5% caractéristique 1 619 2,1% déficitaire
I A A A A 1 413 4,8% spécifique 2 563 3,4% déficitaire
I I I A A 634 2,1% spécifique 1 380 1,8% déficitaire
I I A A A 572 1,9% spécifique 1 230 1,6% déficitaire
I I I I A 572 1,9% déficitaire 1 748 2,3% spécifique
I I S S S 450 1,5% spécifique      
Légende : A = absent du fichier de paye, I = instituteur, S = second degré
Lecture : Parmi les instituteurs âgés de moins de 30 ans en 1978, 52% ont gardé le statut d’instituteur jusqu’en 1994.
Source : à partir de GUILLOTIN, 1997, op. cit. pages 43-46
Note : Sont définis comme spécifiques à une catégorie les itinéraires qui y apparaissent plus fréquemment que si l’on opérait un tirage aléatoire. Symétriquement, on peut définir comme déficitaires les itinéraires qui apparaissent moins fréquemment que dans un tirage aléatoire. Enfin, on appelle caractéristique l’itinéraire le plus fréquent parmi les itinéraires spécifiques.

L’itinéraire le plus fréquent est de loin l’itinéraire stationnaire, aussi bien pour les hommes que pour les femmes. Cependant, la mobilité professionnelle est forte puisque l’analyse du fichier de paye au niveau national indique que sur la première partie de la carrière environ le tiers des femmes et la moitié des hommes ont connu une évolution professionnelle .

Une caractéristique importante est la différenciation selon le sexe : d’une part la proportion de mobiles varie d’un tiers à la moitié, et d’autre part l’itinéraire caractéristique est l’immobilité pour les femmes et le départ vers le secondaire pour les hommes. On retrouve donc la disparité importante de mobilité professionnelle entre les hommes et les femmes que l’on a déjà notée dans les autres approches quantifiées.

De plus, on doit retenir de ces données une caractéristique essentielle des déroulements de carrière : aucun des itinéraires relevés entre 1978 et 1994 ne comporte une mobilité suivie d’un retour à la position standard (correspondant à la forme I…A…I ou I…S…I). La mobilité professionnelle appréhendée de cette manière prend donc la forme de reconversions irréversibles, du moins sur la période observée.

En ce qui concerne l’aspect temporel évoqué à la fin de la section précédente, on remarque que les sorties en début de période (deuxième et troisième lignes de la forme I X X X X) sont plus fréquentes (10% des hommes et 5% des femmes) que les sorties après un ou deux moments de la période (les quatre dernières lignes de la forme I I X.. ou I I I X..) qui, regroupées, ne représentent que 7% pour les hommes et 6% pour les femmes. On voit donc que la mobilité n’est pas uniforme dans le temps et que les extrapolations temporelles ne sont pas possibles. Mais cette importance des départs en début de période peut s’expliquer soit par des effets de période (liés à la fin des années 70 et au début des années 80), soit par des effets de déroulement de carrière (départs plus fréquents en début de carrière, puis stabilisation professionnelle des personnes restées en place).

Il convient de noter que, pour constituer le tableau précédent, nous avons sélectionné les itinéraires entrant directement dans le cadre de notre recherche. Dans le document original, qui tient compte d’un plus grand nombre de positions professionnelles, l’auteur recense 623 itinéraires différents, ce qui donne une image renouvelée de la mobilité professionnelle en cours de carrière des enseignants du premier degré :

‘« Nous avons, en 1978, 119 901 enseignants de moins de 30 ans. Nous observons qu’ils ont suivi 623 itinéraires différents, c’est-à-dire qu’un itinéraire a été suivi, en moyenne, par 192 individus. Cette moyenne recouvre une distribution extrêmement disparate : 34,3% des itinéraires ont été suivis par un seul individu. Nous les appelons des hapax (nous empruntons ce terme à la lexicologie, il vient du grec hapax legomenon : chose dite une seule fois). Ces itinéraires n’ont qu’un intérêt anecdotique, sauf qu’ils révèlent parfois des possibilités de "jeu" à l’intérieur du système plus grandes qu’on ne le croit généralement. » ( 60 )’

Ces possibilités de “jeu” (à tous les sens du terme) renvoie à un aspect important de notre étude, puisqu’elles obligent à revoir profondément l’image d’un système éducatif souvent présenté comme un monde professionnel figé, marqué par l’immobilisme de ses membres et la prégnance du “poste à vie”.

Afin de comparer les différentes sources de valeurs quantifiées que nous venons de présenter, il convient de les reprendre et d’en dresser un bilan synthétique. C’est ce que nous allons faire dans la section qui suit, en mobilisant notre typologie des formes de mobilité.

Notes
60.

 GUILLOTIN Yves, 1997 op. cit. page 43, c’est nous qui soulignons