I.2. Le parcours de Daniel

Daniel s’est montré particulièrement motivé pour participer à notre recherche, et l’analyse de l’entretien montre que, pour lui, la mobilité professionnelle des instituteurs est un sujet à forte charge symbolique. Il a donc accepté avec empressement le principe d’un entretien et a trouvé rapidement une date pour notre rencontre, malgré un emploi du temps surchargé. Il nous a reçu dans son bureau en ayant pris soin d’en fermer la porte et de faire filtrer les communications téléphoniques par sa secrétaire. Après avoir posé quelques questions sur notre cursus universitaire et notre recherche, il a participé très activement à l’entretien. Durant celui-ci, Daniel s’est exprimé avec aisance mais a semblé vouloir garder le contrôle de son discours, du moins en début d’entretien. Assez rapidement, il a donné l’impression de vouloir se livrer très sincèrement et a parfois marqué un long silence de réflexion avant de répondre. Mais, en même temps, il n’a jamais oublié la présence du magnétophone et a émaillé ses réponses de remarques sur la confidentialité ou la causticité de certains propos et sur sa façon de réagir aux relances et aux questions. Après l’entretien, il nous a interrogé sur les résultats de la recherche et nous a fourni les coordonnées de nombreuses personnes susceptibles d’y participer.

Au moment de l’entretien, Daniel a 41 ans et exerce les fonctions d’inspecteur professeur ( 78 ). Ses origines familiales sont modestes : son père était ouvrier et s’est "mis à son compte" à la fin de sa carrière. Daniel a réussi le concours de recrutement d’instituteurs en fin de troisième : il est devenu instituteur à quinze ans « parce que son père n’a pas pu le devenir » comme il le dit avec insistance durant l’entretien.

Après sa réussite au baccalauréat, il se voit proposer une place au centre de formation des PEGC, mais, sans raison explicite, il "omet" de faire les démarches nécessaires à son inscription et va « rester instit ».

Dès le début de sa carrière d’instituteur, il milite activement dans le domaine des centres de vacances et de la formation des animateurs. Sur la base de cet engagement militant, il bénéficie d’une décharge partielle de service, au titre de l’association des CEMEA.

Au bout de six ans d’exercice, il se présente aux épreuves du certificat d’aptitude des écoles annexes et d’application, mais n’exerce pas en tant que maître formateur, car il est mis à disposition de la fédération des oeuvres laïques de son département dès l’année suivante. Il dirige pendant quatre ans le service vacances et formation, et s’y découvre des capacités dans les domaines de la gestion et de la formation.

Au terme de ces quatre années de détachement, il retourne à l’enseignement en suivant la formation d’un an préparant à l’enseignement spécialisé. Il exerce ensuite les fonctions d’instituteur spécialisé dans une section de l’enseignement spécialisé en collège (appelée SEGPA aujourd’hui et SES à l’époque).

Après trois années d’enseignement spécialisé en collège, il se présente aux épreuves de sélection de la liste d’aptitude des directeurs d’écoles annexes et d’application (deaa). Mais, ne pouvant obtenir un poste de deaa déchargé de classe à plein temps, il décide de devenir inspecteur. Il demande et obtient un congé mobilité d’un an durant lequel il prépare le capes de philosophie et termine la maîtrise de sciences de l’éducation. Il exerce ensuite pendant une année scolaire les fonctions de conseiller pédagogique auprès de l’inspecteur chargé de l’enseignement spécialisé.

L’année suivante, il réussit le concours de recrutement d’inspecteur de l’Éducation nationale. Après l’année de formation d’IEN, il obtient un poste d’inspecteur professeur dans son département d’origine, poste qu’il occupe depuis deux ans au moment de l’entretien.

A priori, on pourrait être tenté de ne garder de ce cheminement professionnel que le passage de la position d’instituteur à celle d’inspecteur et de le ramener à une trajectoire de promotion interne, somme toute assez banale, et qui se retrouve dans de nombreuses situations professionnelles. Ce cheminement pourrait apparaître comme un exemple de réussite professionnelle conduisant un instituteur à devenir inspecteur de l’Éducation nationale, c'est-à-dire le supérieur hiérarchique de ses anciens collègues. Et cela pourrait conduire à une interprétation en termes "d’ambition personnelle" ou de "réussite professionnelle", comme le font certains instituteurs restés en place à propos des IEN "sortis du rang". Pourtant, à y regarder de plus près, on remarque que Daniel a occupé de nombreuses positions professionnelles entre l’exercice ordinaire du métier d’instituteur et le poste d’IEN. Il convient donc de prendre en compte le déroulement détaillé du cheminement professionnel, ce que nous allons faire dans la section qui suit.

Notes
78.

 La fonction d’inspecteur professeur constitue une des survivances des Écoles normales d’instituteurs au sein des IUFM. Elle consiste à assurer, d’une part, des charges d’enseignement en formation professionnelle initiale et continue et, d’autre part, la responsabilité d’une circonscription primaire de taille réduite.