Nous avons repris les éléments essentiels de l’itinéraire professionnel en effectuant des projections jusqu’au départ à la retraite, pour aboutir au tableau de synthèse suivant :
situation | durée | taux |
statut d’instituteur | 21 | 50% |
formations à l’année | 4 | 10% |
position standard en classe | 9 | 21% |
autres fonctions dans l'institutorat | 8 | 19% |
IEN ou autre position ultérieure (*) | 21 | 50% |
formation IEN | 1 | 2% |
exercice professionnel (*) | 20 | 48% |
total (*) | 42 | 100% |
Lecture : Daniel a suivi des formations comme instituteur durant 4 années scolaires, ce qui représente 10% d’une carrière totale. | ||
Note : Les lignes signalées par des étoiles (*) correspondent à des projections dans l’avenir et non à des observations comme les autres lignes. |
Au moment de l’enquête, Daniel a quitté l'institutorat depuis deux ans après y avoir passé 21 ans, et son cheminement professionnel devrait se poursuivre une vingtaine d’années environ selon son âge de départ à la retraite ( 83 ). Sa carrière d’instituteur représente la moitié de son itinéraire professionnel global (tel qu’on peut l’anticiper au moment de l’enquête), mais la position standard en classe n’en représente que le cinquième. L’étude ultérieure des temporalités de la mobilité professionnelle en cours de carrière nous permettra de replacer dans un cadre plus large cet itinéraire marqué par une rupture à mi-parcours et de nombreuses bifurcations dans sa première moitié. Indiquons seulement pour l’instant que les interprétations en termes de « crise de milieu de vie » ou de « remise en cause existentielle de la quarantaine » qui sont souvent présentées sous le signe de l’évidence ne sont que faiblement corrélées avec les éléments de compréhension issus de notre recherche.
En restant dans une approche des modalités temporelles, on peut s’interroger sur la seconde moitié de l’itinéraire professionnel, c'est-à-dire la partie non encore réalisée au moment de l’enquête. Est-ce que notre tableau correspond à ce qui va se réaliser ou est-ce que Daniel va quitter la position d’IEN avant la fin de sa carrière ? En fait, contrairement à l'institutorat qui dispose de nombreuses possibilités d’évolution et de bifurcation –dont on a pointé quelques exemples dans la carrière de Daniel- la fonction d’IEN constitue presque toujours une " position professionnelle terminale ", c'est-à-dire qu’elle offre très peu de possibilités d’évolutions et pratiquement aucun débouché ( 84 ). On voit donc que deux évolutions sont envisageables pour la seconde moitié de l’itinéraire : soit une fin de carrière comme IEN, avec éventuellement des évolutions de poste (comme IEN chargé du premier degré auprès d’un Inspecteur d’académie) ; soit une rupture importante et une mobilité externe.
Au terme de l’analyse du cheminement professionnel de Daniel, on peut retenir la diversification importante des fonctions et des positions professionnelles au sein de l'institutorat. On a pu observer que cette diversification de la carrière d’instituteur s’est opérée par de nombreuses évolutions ou bifurcations, en relation avec plusieurs périodes de formation sur le temps de travail, selon des modalités variées. On a également vu émerger à de nombreuses occasions le thème de la distinction qui pourrait bien constituer le "fil rouge" de cette carrière.
Cependant, même si l’on peut reconstituer une série d’évolutions professionnelles dans la carrière de Daniel, il convient de ne pas l’interpréter hâtivement comme un processus logique, car il n’y a ni logique ni nécessité dans cette succession, comme nous le verrons dans les prochains chapitres consacrés aux débouchés ouverts aux enseignants du premier degré. Comprendre cette suite de positions professionnelles comme une progression permettant graduellement à un instituteur de devenir inspecteur constituerait une rationalisation a posteriori inspirée par « l’illusion biographique » ( 85 ). D’ailleurs Daniel ne le fait ni dans ses descriptions ni dans ses commentaires, comme on le verra dans la section V consacrée à l’interprétation qu’il construit de son cheminement professionnel.
Les fonctionnaires ayant exercé plus de quinze ans dans un corps administratif peuvent bénéficier s’ils le souhaitent des conditions de départ à la retraite de leur corps d’origine, à savoir la retraite à 55 ans pour les instituteurs. Daniel pourrait donc clore sa carrière à cet âge là, cependant plusieurs éléments nous font penser qu’il est plus plausible de projeter sa carrière jusqu’à l’âge de 60 ans.
Le chapitre six nous permettra de détailler la mobilité hiérarchique.
Bourdieu Pierre, 1994, « L’illusion biographique » in Raisons pratiques, Seuil (première édition : 1986 « L’illusion biographique » Actes de la recherche en sciences sociales n°62/63)