V.3. « Peut-être que ça ne me suffisait pas d'être pédago » : Une victoire à la Pyrrhus

« ça m'a permis de savoir qui j'étais »

À de nombreuses occasions dans le récit, Daniel se caractérise lui-même et s’efforce de se mieux comprendre par un travail d’auto–analyse. Il élabore ainsi en cours d’entretien des "explications" plausibles de son parcours, il cherche à reconstituer ses raisons d’agir et de réagir tout au long de son itinéraire. Mais, dans le même mouvement, il tend également à présenter l’image qu’il se fait de lui-même, car « quand une personne se présente aux autres, elle projette, en partie sciemment et en partie involontairement, une définition de la situation dont l’idée qu’elle se fait d’elle-même constitue un élément important. » ( 111 ). Nous avons déjà rencontré plusieurs “présentations de soi”, intéressons-nous à présent à un dernier exemple autour du thème de la prise de conscience (voire de la révélation) de ce que nous pensons pouvoir condenser par la formule " changer de position professionnelle, c’est se change r" :

‘« j'ai pris conscience que j'étais capable d'organiser des choses à un autre niveau que celui de la classe (P1.5) j'ai pris conscience que je pouvais mener une entreprise à un autre niveau de responsabilité (A1.6) j'ai pris conscience de deux choses (A1.2) j'étais capable de faire autre chose (A2.1) sur un plan personnel, je me suis rendu compte que j'étais capable de faire des choses, que j'étais capable d'animer des équipes (A2.2) je me suis rendu compte que j'étais capable (A2.6) j'étais quand même capable d'avoir une responsabilité dans une équipe (A2.7) je me suis rendu compte tout d'un coup que ce rapport à l'autorité, ne me posait aucun problème (A2.9) je me suis rendu compte que j'avais une parole relativement facile, j'avais un certain nombre d'idées (A2.10) »

Daniel insiste fortement sur sa prise de responsabilité graduelle au sein des associations complémentaires de l’école et sur ce qui en découle pour lui, c’est-à-dire les renforcements de compétences et une prise de conscience de ses possibilités d’évolution professionnelle. On pourrait voir dans cette insistance une part de rationalisation autobiographique, on doit pourtant prendre en compte l’apprentissage en situation de nouvelles compétences professionnelles et l’ouverture des aspirations par l’exercice de fonctions complètement renouvelées au sein des associations.

Cela n’est pas propre à Daniel, et de nombreux répondants ont découvert progressivement des capacités et des attirances pour de nouveaux domaines professionnels à la faveur d’un cadre différencié de l’exercice professionnel, au sein même de l’institutorat. D’ailleurs, des recherches menées sur les ZEP ont déjà relevé des effets d’élargissement à la fois des expériences et des aspirations professionnelles pour certains coordonnateurs, qui se consacrent à des tâches de type organisationnel fort éloignées finalement de l’exercice ordinaire du métier d’instituteur dans sa classe ( 112 ).

Nous détaillerons cela dans le chapitre cinq à propos des "filières internes de l'institutorat", revenons pour l’heure au cheminement subjectif de Daniel avec cette formulation qui condense bien le thème de la prise de conscience et de la connaissance de soi : « ça m'a permis de savoir qui j'étais » (A2.12). Cette révélation sur soi est importante dans le cheminement subjectif de Daniel, car elle s’articule directement avec la mobilité professionnelle comme on le voit dans la formule suivante :

‘« J'ai laissé éclater la possibilité de pouvoir faire autre chose » (A9.4)’
Notes
111.

 GOFFMAN Erving, 1973, La mise en scène de la vie quotidienne t1 La présentation de soi, Les Éditions de Minuit, page 229

112.

 Entre autres travaux du CRE et de Dominique Glasman, cf. GLASMAN Dominique & COLLONGES Geo, 1992, « Enseignants et travailleurs sociaux, partenariats et identités professionnelles », Revue du CRE (centre de recherche en éducation de St Etienne) N°5 Le métier d’enseignant juin 1992