Source : ANPE, op. cit., page 140 (présentation remaniée)
Lecture : La longueur de la flèche traduit les proximités (en termes de compétences cognitives) entre l’emploi–source “enseignant des écoles” et chaque emploi–cible.
Ce qui frappe dans ce graphique, c’est la présence d’emplois/métiers que l’on n’a pas tendance spontanément à rapprocher de la position d’instituteur. L’analyse cognitive retrouve bien sûr certaines positions professionnelles déjà évoquées comme le professorat ou l’inspectorat. Cependant, ces positions professionnelles internes à l’Éducation nationale ne sont pas dominantes dans l’aire de mobilité des enseignants des écoles, puisqu’elles ne représentent qu’une part minoritaire des emplois cibles générés par le ROME.
La construction de deux sous–graphiques distinguant les emplois cibles, selon qu’ils soient internes ou externes à l’Éducation nationale, permet de mettre cette caractéristique en évidence :
DÉBOUCHÉS INTERNES
DÉBOUCHÉS EXTERNES
Pour les débouchés internes, on discerne deux groupes d’emplois cibles selon le niveau de mobilité : d’une part trois destinations à une distance courte ou moyenne, et d’autre part deux destinations à une distance importante. Les emplois cibles les plus proches sont ceux de l’enseignement (enseignant d’enseignement général, enseignant d’enseignement technique, formateur) dont nous avons relevé la proximité (en termes de compétences) lors de l’examen du modèle cognitif. À une distance plus importante, se trouve l’emploi–cible d’enseignant–chercheur, qui constitue le sommet de la hiérarchie des emplois/métiers de l’enseignement. La distance très importante à laquelle se situe l’emploi intitulé “inspecteur de l’enseignement” a de quoi surprendre, quand on connaît les recrutements d’IEN parmi les instituteurs ( 139 ). Cette distorsion apparente s’explique par le fait que le ROME regroupe l’ensemble des inspecteurs de l’Éducation nationale dans l’emploi/métier “inspecteur de l’enseignement”. Si l’on se réfère non pas aux IEN mais aux inspecteurs d’Académie, aux inspecteurs pédagogiques régionaux et aux inspecteurs généraux, la distance les séparant de l’emploi source ne surprend plus. Au contraire, on peut la juger trop faible lorsque l’on songe que ces destinations sont placées non seulement au sommet de la hiérarchie administrative, mais aussi hors d’atteinte directe pour un enseignant du premier degré.
A titre de comparaison, la position d’enseignant-chercheur –malgré la distance à parcourir– est accessible par recrutement direct et notre enquête empirique nous a permis de prendre connaissance d’un nombre significatif de parcours professionnels menant directement de la position d’instituteur à celle d’enseignant-chercheur (selon le parcours canonique thèse… qualification… recrutement). En revanche, aucun des instituteurs devenus inspecteur d’académie ou inspecteur général que nous avons rencontrés dans notre enquête ne l’a fait directement. Tout porte à croire qu’un tel cas de figure soit irréalisable, et qu’il soit indispensable de passer par des étapes (a minima par le corps administratif des IEN) pour atteindre ce type de poste.
Pour les débouchés externes, on discerne trois groupes d’emplois cibles selon le niveau de mobilité : trois emplois plutôt proches (“instructeur en conduite de véhicule à moteur”, “formateur”, “animateur d’activités sportives”) ; trois emplois plutôt distants (“animateur de loisir”, “animateur d’activités culturelles”, “cadre de la GRH”) et trois emplois distants (“cadre des services paramédicaux”, “responsable de formation”, “rédacteur de presse”). Mais, au-delà des différences de niveau de mobilité, ce qui frappe dans cette liste, c’est le caractère hétérogène de certains emplois cibles par rapport au métier d’instituteur, à commencer par le plus proche dans le graphique.
En effet, “instructeur en conduite de véhicule à moteur” n’est pas une destination professionnelle à laquelle on peut penser spontanément comme débouché de l'institutorat. D’ailleurs, aucune des réponses à notre questionnaire n’émanait d’une telle position professionnelle. Cela ne constitue pas une preuve formelle, et il est concevable qu’en exploitant systématiquement les canaux internes de cette profession (comme la presse ou les syndicats professionnels), nous aurions fini par "dénicher l’oiseau rare". Mais nous soutenons l’hypothèse que le nombre de cas réel reste proche de zéro, car plusieurs éléments nous font penser que ce débouché a très peu de chances de se réaliser dans la pratique. Nous avons interrogé à ce propos un doctorant en sciences de l’éducation –formateur de moniteurs d’auto-école depuis près de vingt ans– qui a confirmé nos hypothèses, puisqu’il n’avait jamais rencontré le cas d’un instituteur devenu “instructeur en conduite de véhicule à moteur”, tout en reconnaissant la proximité cognitive des deux métiers. Certes, dans les deux cas, il s’agit toujours « d’expliquer simplement » des savoirs de base, et l’on peut établir bien des analogies entre la conduite automobile et, par exemple, l’apprentissage premier de la lecture. Mais on atteint une des limites du modèle cognitif, et l’on constate qu’un métier ne peut pas être défini uniquement en termes de compétences. Un moniteur d’auto-école n’est pas seulement un "bon pédago" capable d’expliciter des savoirs "simples" (c'est-à-dire incorporés à l’état de routines par ceux qui les maîtrisent). C’est d’abord un passionné de voiture et de conduite automobile. C’est aussi un artisan travaillant seul ou un employé ayant le statut de salarié d’une petite entreprise de type artisanal. De même, un instituteur est d’abord quelqu’un qui a choisi (ou accepté) de travailler avec de jeunes enfants et dans le cadre de la fonction publique. C’est dire la faible probabilité de voir un « homme en proie aux enfants » ( 140 ) –et petit fonctionnaire de surcroît…– devenir moniteur ou "patron d’auto-école" .
On remarque dans le graphique d’autres destinations professionnelles dont la connexion avec le métier d’instituteur n’est pas immédiatement perceptible. Si l’on essaie de structurer ces connexions, on constate que certains emplois cibles combinent une proximité cognitive avec une distance socioprofessionnelle (comme moniteur d’auto-école), tandis que d’autres sont en proximité cognitive et socioprofessionnelle (comme animateur).
En tout cas, l’aire de mobilité d’enseignant des écoles présentée dans le ROME renouvelle profondément la perception des possibilités professionnelles ouvertes aux instituteurs et invalide largement les discours convenus que nous avons examinés au chapitre premier sous le titre « quitter la classe ? mais c’est impossible ! ». On peut remarquer que cela rejoint l’objectif général du ROME, qui est conçu pour élargir les potentialités de mobilité, en ouvrant des perspectives envisageables mais rarement envisagées spontanément.
Le chapitre cinq est consacré aux IEN et nous permettra de détailler cette destination professionnelle et ses liens avec la position d’instituteur.
THIERRY Albert, 1986, L’homme en proie aux enfants, Magnard (première édition 1909)