Nous avons indiqué au chapitre premier que la direction d’école ne relevait pas intrinsèquement de notre objet de recherche puisqu’elle ne correspondait pas aux critères de délimitation que nous nous sommes donnés. Au plan administratif, la direction d’école ne constitue pas un corps de fonctionnaires à part entière : aucun texte officiel ne l’institue par un statut spécifique, il n’existe pas de concours (interne ou externe) de recrutement, le recrutement se fait exclusivement parmi les enseignants du premier degré sur liste d’aptitude et les retours à la position standard sont très courants. Certes, la direction d’école constitue une forme de promotion professionnelle, mais elle représente plus une amélioration symbolique qu’une réelle ascension hiérarchique, et reste plus visible de l’extérieur que reconnue en interne.
Si les réticences envers un directeur chef d’établissement restent très vives parmi les enseignants du premier degré, pour les "usagers de l’école" en revanche, la cause est entendue : que ce soit les élèves et leurs familles ou les autres interlocuteurs, dès que les choses deviennent importantes ou problématiques, chacun "veut voir le directeur" (un peu comme le client mécontent qui exige de "parler au chef de service"…).
Et nous avons vu dans la section précédente qu’au plan des activités et des compétences professionnelles, la direction d’école oblige à "sortir de sa classe" et à s’investir au plan relationnel, aussi bien avec l’extérieur de l’école que dans la "direction d’équipe". Tout cela –et le statut particulier des directeurs déchargés de classe en région parisienne– explique la présence dans le ROME d’une aire de mobilité spécifique aux “administrateurs d’école maternelle ou primaire” qui est présentée dans les graphiques qui suivent :
Source : ANPE, op. cit., page 145 (présentation remaniée)
Lecture : La longueur de la flèche traduit les proximités (en termes de compétences cognitives) entre l’emploi–source de directeur d’école primaire (“administrateur d’école maternelle ou primaire”) et chaque emploi–cible.
DÉBOUCHÉS INTERNES
DÉBOUCHÉS EXTERNES
Le constat d’une présence marginale des débouchés internes, établi pour la position standard, se confirme pour la direction d’école. D’autant plus qu’un des deux emplois cibles n’est pas spécifique à l’Éducation nationale (puisque l’on peut être “responsable pédagogique” dans plusieurs domaines professionnels) et que la proximité maximale (en termes de compétences) avec l’emploi “administrateur d’établissement d’enseignement secondaire et supérieur” doit être fortement tempérée par la distance administrative et socioprofessionnelle.
Jusqu’à une date récente, le recrutement direct de chefs d’établissement du secondaire parmi les instituteurs n’était pas réalisé ( 141 ). Depuis peu, une amorce de recrutement direct peut être relevée, sous les effets conjugués de la création du corps de professeur d'école (relevant du cadre A de la fonction publique) et de la "crise de recrutement" des chefs d’établissement parmi le personnel du second degré ( 142 ). Nous avons relevé pour l’année 2002/2003 seulement deux cas de recrutement direct par concours permettant de passer sans étape intermédiaire de la direction d’école aux fonctions de chef d’établissement du secondaire. Bien entendu, en l’absence de données statistiques exhaustives, on peut penser que cette forme de mobilité est beaucoup plus fréquente.
Mais l’on doit noter que les deux occurrences rencontrées dans notre enquête constituent des cas particuliers. La première personne avait occupé plusieurs postes particuliers avant d’assurer la direction d’une école située en ZEP (zone d’éducation prioritaire), ce qui lui a permis de diversifier ses expériences professionnelles (en particulier le travail avec le collège). Le second cas, issu d’un autre département, est lui aussi hors normes puisqu’il s’agit du directeur entièrement déchargé de classe d’une très grosse école située en ZEP qui, en parallèle assumait la charge de président d’une association péri–éducative gérant un centre permanant d’accueil de classes transplantées et salariant une dizaine de personnes. Les avis que nous avons pu recueillir confirment notre impression : bien que le concours de recrutement des chefs d’établissement secondaire soit formellement ouvert aux professeurs d'école, la réussite n’est pas (encore ?) vraiment accessible pour "un directeur lambda".
En ce qui concerne les “administrateurs d’établissement d’enseignement supérieur” notre enquête ne nous a permis de rencontrer qu’une seule personne ayant occupé des postes de secrétaire général dans plusieurs écoles d’ingénieur et devenue ensuite IGAEN (inspecteur général de l’administration de l’Éducation nationale). Mais ce parcours professionnel n’a aucun rapport avec les compétences issues de la direction d’école, puisqu’il a été rendu possible uniquement par un cursus de formation et de concours dans la filière administration et gestion de l’Éducation nationale (licence de droit, concours internes…).
La liste des débouchés externes de la direction d’école permet de découvrir une proximité cognitive plutôt surprenante avec le domaine professionnel des activités de service dans la restauration et l’hébergement. La distance socioprofessionnelle (et même "culturelle" pourrait-on dire) séparant la direction d’école primaire et ce secteur professionnel est en effet très importante. La position de travailleur indépendant (ou, depuis peu, de salarié de grands groupes industriels) est aux antipodes du statut de fonctionnaire, les horaires et les conditions de travail divergent fortement et la "culture d’entreprise" dessine deux mondes hétérogènes, voire antagonistes. Ce type de destinations professionnelles n’est pas totalement absent de notre enquête empirique, mais aucun des parcours de mobilité y conduisant ne semble découler des compétences développées dans la direction d’école. En revanche, ils sont souvent liés à une "histoire de famille" impliquant le conjoint, et conformes en cela aux modes d’accès à ce monde socioprofessionnel fortement marqué par la transmission familiale et le travail en couple.
Même si le parcours instituteur – PEGC a constitué pendant longtemps la voie de recrutement majoritaire pour le poste de principal de collège et que le passage par la position de chef d’établissement spécialisé relevant de l’AIS (adaptation et intégration scolaire) constitue une autre voie de recrutement indirecte. Les chapitres cinq et six nous permettront d’examiner ces filières progressives de recrutement.
IGEN, 1999, « La revalorisation du rôle des chefs d’établissement de l’enseignement secondaire », MEN, Rapport présenté par René BLANCHET, Céline WIENER et Jean Pol ISAMBERT en avril 1999