Conseiller pédagogique (des enseignants / de l’inspecteur)

Le CPAIEN (conseillerpédagogique auprès de l’IEN) est une position issue du "maître itinérant" et de la leçon modèle donnée aux débutants sans formation dans les années 1960. Comme nous le verrons plus en détail au chapitre suivant, l’extension généralisée de la scolarisation à cette époque a provoqué une pénurie d’enseignants qui a débouché, par contrecoup, sur des recrutements massifs d’instituteurs suppléants. Les écoles normales, avec leur recrutement en fin de collège et leurs "classes pré-bac", ne parvenaient pas à former suffisamment d’instituteurs pour faire face aux besoins. En rupture avec le système traditionnel de formation, les recrutements massifs "par voie directe" revenaient à confier la responsabilité d’une classe à un grand nombre de jeunes gens frais émoulus du baccalauréat et dépourvus de formation initiale. Devant l’ampleur du phénomène, les inspecteurs primaires ne pouvaient pas accompagner ces débutants dans leur classe et les préparer au CAP (certificat d’aptitude pédagogique) d’instituteur.

Cela a conduit à recruter des conseillers pédagogiques chargés d’intervenir auprès des suppléants. C’était des "maîtres d’application", comme on disait à l’époque, complètement déchargés de classe pour apporter une aide directe dans les classes des suppléants. Les suppléants ne disposant d’aucune formation sur le temps de travail, l’aide était dispensée de classe en classe (d’où le qualificatif parfois employé de "maître itinérant") et le conseiller pédagogique intervenait dans tous les domaines de la pratique professionnelle :

‘« Il vérifie l'organisation matérielle et pédagogique de la classe, assiste aux leçons, intervient s'il le juge nécessaire, contrôle les résultats acquis, examine les cahiers, l'information, la préparation, le contrôle, la correction. Il prend lui-même la classe en main. Il s'entretient avec son jeune collègue et lui donne les conseils indispensables. » ( 160 )’

Dès le texte fondateur, il est donc question non seulement de démonstrations pratiques dans la classe du débutant, mais aussi de fonctions d’aide et de conseil. D’autant plus que les conseillers pédagogiques interviennent également dans les séances de préparation que les inspecteurs organisent le jeudi (jour de congé à l’époque) pour que les suppléants puissent se préparer aux épreuves écrites du CAP (certificat d’aptitude pédagogique d’instituteur). Ainsi, rapidement, le conseiller pédagogique ne se cantonne pas dans un rôle de tutelle auprès des suppléants dans leurs classes, mais assume des fonctions de formateur et seconde l’inspecteur dans toutes ses missions, à l’exception du contrôle et de la notation des instituteurs.

D’ailleurs la disparition de la suppléance par voie directe n’a pas conduit à remettre en cause le recrutement des conseillers pédagogiques. On peut penser que cela est dû en partie à un effet de cliquet , courant dans la fonction publique, qui fait que les catégories professionnelles particulières survivent aux éléments de contexte qui ont justifié leur création. Une situation de crise ou un changement profond des conditions d’exercice justifient, "rationnellement" aux yeux de tous la création d’une catégorie ad hoc de fonctionnaires. En revanche, si les éléments de contexte qui avaient justifié la création disparaissent, cela n’entraîne pas "rationnellement" la suppression de la catégorie, mais plutôt la redéfinition de ses missions, car elle est considérée comme un acquis, ou du moins comme un débouché potentiel pour le groupe professionnel qui l’alimente. Cette émergence de besoins nouveaux –qui suit en quelque sorte une logique dans laquelle l’organe crée la fonction…– s’observe pour le conseiller pédagogique qui, à défaut de suppléants, a été amené à seconder l’inspecteur de circonscription dans ses (très nombreuses) missions. Cette évolution est tout à fait claire dans le dernier texte officiel en date sur le "référentiel de métier" du conseiller pédagogique de circonscription :

« Le conseiller pédagogique a pour rôle au niveau de la circonscription
• d’encourager les réussites pédagogiques et de contribuer à leur diffusion,
• de participer à l’animation des conférences pédagogiques (dispositif de formation continue de la circonscription),
• de seconder l’inspecteur dans son rôle d’information, de communication et de négociation auprès des partenaires extérieurs.’ ‘ au niveau des écoles
• d’assister les équipes enseignantes notamment pour les aider à bien gérer leur temps et à optimiser l’organisation et le fonctionnement des cycles pédagogiques,
• d’apporter son concours à l’élaboration, à la réalisation et au suivi des projets d’écoles,
• de soutenir la mise en œuvre d’activités nouvelles et accompagner les équipes d’enseignants dans la réalisation de ces activités,
• de jouer un rôle vis-à-vis des intervenants extérieurs,
• d’accompagner les enseignants dans leurs pratiques quotidiennes, en priorité les nouveaux nommés,
• de les aider à utiliser, compléter et affirmer les compétences qu’ils possèdent déjà,
• de répondre à toute demande d’aide et de conseil,
• d’apporter son soutien aux collègues qui se présentent à des examens
professionnels.’ ‘ au niveau du département
• de participer à la formation initiale des professeurs des écoles,
• de conduire des actions de formation continue inscrites au plan départemental de formation,
• d’apporter sa contribution aux projets de l’institution. » ( 161 )’

On voit que, finalement, ce "référentiel de métier" donne une définition fonctionnelle du conseiller pédagogique proche de celle de l’inspecteur, en excluant seulement l’autorité hiérarchique et le pouvoir de notation envers les enseignants. Ce qui fait dire à de nombreux inspecteurs que “leur” conseiller « fait tout, sauf les inspections et la carte scolaire », ces dernières étant l’apanage de l’inspecteur et les deux domaines dans lesquels il exerce seul son pouvoir hiérarchique. On comprend que, dans ces conditions, les conseillers pédagogiques soient sollicités pour assumer les fonctions de “faisant–fonction” d’inspecteur en cas de vacance de poste, voire soient souvent considérés comme des candidats légitimes au concours de recrutement d’IEN.

On comprend également que les conseillers pédagogiques aient pu progressivement constituer un groupe professionnel cohérent tendant à renforcer ses spécificités et son autonomie par rapport au groupe de recrutement. Les débuts furent pourtant difficiles, car le puissant SNI de l’époque (syndicat national des instituteurs) était un gardien particulièrement ombrageux de l’unité interne de l'institutorat comme on peut le voir dans ce témoignage de l’un des pionniers :

‘« Donc début septembre 1961, l'inspecteur primaire me convoque chez lui, et sans ambages, me déclare : "Vous étiez candidat à un poste de conseiller pédagogique en mars et vous aviez été devancé au barème. Pour des raisons que je ne peux pas dévoiler, ce collègue ne peut plus assurer la fonction. Vous avez une heure pour me donner votre réponse. Je vous rappelle que vous bénéficierez de l'indice CEG mais que vous perdrez l'indemnité de logement." J'ai accepté. Nous étions alors à l'époque de la cooptation, pas encore de CAEA, encore moins de CAFIMF ou de CAFIPEMF. La réaction syndicale fut immédiate : un tollé, en dépit de mon militantisme connu au SNI. Pendant longtemps d'ailleurs, le bureau national marqua une certaine réticence à notre égard alors que la fonction était susceptible de proposer une promotion à laquelle était favorable le SNI qui sollicitait la présence d'un collaborateur permettant aux inspecteurs primaires d'assumer leur nouvelle charge. Plus tard, la création d'examens permit aux CAPD de mieux procéder aux nominations, mais j'ai cru comprendre, à travers une récente enquête, que les modalités actuelles sont encore fort disparates. L'accueil des collègues fut assez réservé, en particulier au chef-lieu où on vous saluait d'un "Monsieur l'seiller" pas tellement amical. Nous étions pris entre le marteau et l'enclume. Par contre, les visites aux débutants furent rapidement plus sollicitées que craintes, même par les normaliens. » ( 162 )’

Les conseillers pédagogiques se sont dotés d’une association professionnelle active, qui présente de nombreuses caractéristiques allant de pair avec l’autonomisation du groupe professionnel. En effet, elle édite une revue et un annuaire professionnel, elle organise chaque année un congrès national se déroulant sur le temps de travail, elle mène un travail de représentation et de défense catégorielle du groupe professionnel, voire trame des actions de "lobbying" visant une meilleure reconnaissance institutionnelle. L’ANCP (association nationale des conseillers pédagogiques) a été déclarée en 1965 sous le vocable "amicale nationale…" (renouant ainsi avec la préhistoire du syndicalisme enseignant), et avec des statuts précisant que « l’amicale n’est pas un syndicat », laissant penser que, là aussi, le groupe en voie d’autonomisation devait ménager le SNI :

‘« L'ANCP avait pris une envergure nationale, mais ce n'est qu'en 1969 que le groupuscule devint majeur, donc représentatif. Immédiatement des revendications sortaient de l'ombre que nous avons souvent retrouvées au cours de congrès ultérieurs : indemnités de logement, reconnaissance de la fonction, frais de déplacements, champ d'action, indice d'assimilation, examens adaptés. L'activité des conseils d'administration […] ne s'est jamais ralentie, accumulant des résultats concrets indéniables pour la défense des acquis et des intérêts de la fonction . […] Il est bon, cependant, de signaler la confection de l'annuaire dès 1974 par le bureau de I'ANCP, imprimé gracieusement par le GIDEC. […] Notre premier bulletin de liaison Échanges date à peu près de la même époque. » (QUEMENER, op. cit. pp 72-73)’

L’affirmation du groupe professionnel des conseillers pédagogiques par leur association professionnelle se focalise dans la revendication d’un corps administratif spécifique dont l’autonomie serait légitimée par une formation qualifiante (“de haut niveau”, est-il besoin de le préciser ?). Pour cela, l’ANCP a su mobiliser des universitaires dans les moments de formation de ses congrès et, de manière plus institutionnelle encore, dans les stages nationaux du plan national de formation du ministère qu’elle a réussi à se faire confier par l’Éducation nationale. Et c’est en partie sur une analyse de type didactique et des arguments cognitifs que les responsables de l’ANCP fondent la revendication d’une formation qualifiante qui permettrait au conseiller pédagogique d’être « l'ingénieur en formation que nous prétendons devenir » :

‘« Le conseiller pédagogique aide au cheminement du formé dans la complexité à laquelle doit faire face l'enseignant aujourd'hui. Son rôle ne sera pleinement joué que s'il est lui-même en mesure de débrouiller cette complexité, c'est-à-dire, comme le disait Michel Fayol, être l'interface entre les informations scientifiques issues de la recherche et les contraintes de temps, de coût, de structures de notre école. Ceci fonde la nécessité d'une solide formation spécifique du formateur particulier qu'est le conseiller pédagogique à la charnière donc entre théorie et pratique . C'est ce que nous avons mis en lumière dans les stages de cette année. Cette formation concerne deux grands axes : une connaissance actualisée des résultats de la recherche dans le domaine des sciences de l'éducation (psychologie cognitive en particulier) ; l'acquisition de méthodologie, de formation des enseignants. Ce sont les compétences définies à Périgueux par Michel Lecointe, intégrées ou périphériques à l'ingénierie de la formation : le repérage de besoins, le bilan de compétences, les référentiels et définitions d'objectifs, le cahier des charges et les dispositifs de formation, les stratégies de formation, le pilotage et le suivi d'actions de formation et les évaluations dans le sens privilégié par André de Peretti : "faire sortir les valeurs plutôt que sanctionner". Ces contenus, les universitaires qui nous accompagnent depuis plusieurs années lors de nos colloques ou, plus récemment lors des stages, sont prêts à nous les apporter. Tous connaissent bien notre milieu et sont prêts à nous aider à définir un parcours de formation adapté à notre mission en évolution. Pour être l'ingénieur en formation que nous prétendons devenir, il nous faudra être celui qui n'apporte pas une solution toute faite, mais qui problématise la situation, qui rassemble les informations et les compétences pour avancer dans la résolution du problème, qui choisit ou aide à choisir les stratégies, les procédures et les contenus les plus adaptés, sans jamais perdre de vue les valeurs du système éducatif pour lequel nous œuvrons ; être aussi celui qui constitue ou aide à constituer ou à adapter les outils pour évaluer les actions de formation menées, n'oubliant pas, au passage, de peser l'efficacité de sa propre action » ( 163 ).’

Et dans cette recherche d’appuis universitaires et institutionnels, les conseillers pédagogiques ont des atouts collectifs à faire valoir. Parmi les enseignants du premier degré, ils sont non seulement des "relais d’opinion", mais aussi des prescripteurs ayant un contact direct et sans rapport hiérarchique. Ils représentent ainsi une opportunité de pouvoir diffuser un dispositif ou une innovation pédagogique avec une efficacité démultipliée, sans parler des universitaires ou autres "théoriciens" concepteurs d’une "méthode" et auteurs d’un manuel scolaire qui peuvent avoir des vues très pragmatiques de diffusion commerciale "conseillée"… par tous les conseillers… ( 164 ). Cette position stratégique fait dire à l’association que « la professionnalisation de notre métier » est l’objectif à atteindre, y compris par des opérations de "lobbying" pour peser sur les textes ministériels, auxquelles il est fait allusion dans ce texte :

‘« …si cette évolution vers la profession est maintenant clairement exprimable, elle se traduira dans les faits selon un processus lent et soumis à de nombreux aléas. Je veux seulement essayer […] en mettant en relation les textes de nos missions et l'évolution historique de notre corps. Cette relation m'est autorisée puisque, dans cette note de service de 1996, il y a tout de même "un peu de nous" . Cette figure où nous pouvons nous situer professionnellement est maintenant composée de trois niveaux […]. Elle a d'abord une forme polyvalente, celle du maître de référence et d'application. C'est la figure d'origine du conseiller pédagogique, le temps de l'Amicale. Toujours réaffirmée, cette figure prend cependant aussi, dans les années 1980, la forme d'un animateur/communicateur. […] Et enfin, une dernière forme vient d'émerger : celle du formateur/concepteur. Celui-ci est un acteur social, qualifié, responsable, autonome , dans lequel nous commençons à être reconnus à divers titres , à avoir une identité professionnelle. Oui, c'est bien une avancée significative que l'émergence de cette figure complexe qui se compose à travers la professionnalisation de notre métier . » ( 165 )’

Ce travail collectif d’instauration du groupe professionnel reconnu comme « qualifié, responsable, autonome » se traduit également dans les termes utilisés pour désigner les conseillers pédagogiques. Le sigle CPAIEN (conseiller pédagogique auprès de l’IEN) est souvent développé –dans l’association professionnelle et ailleurs– comme "conseiller pédagogique adjoint de l’IEN". Cela marque le désir de passer du rôle de conseiller des enseignants (en particulier débutants) au statut d’adjoint de l’inspecteur, et de marquer la rupture avec le "maître itinérant" et ses leçons modèles. Il s’agit d’être reconnu institutionnellement non plus (seulement) comme un enseignant modèle –distingué par son excellence pédagogique– mais de devenir un « ingénieur en formation » qui seconde l’inspecteur dans toutes ses missions (à l’exception du contrôle hiérarchique). Un rapport de l’Inspection générale portant sur les circonscriptions de l’enseignement primaire reprend cet argumentaire :

‘« Compte tenu de l'élévation du niveau de recrutement des enseignants, il serait indispensable de prévoir une reconnaissance de qualification de tous les intervenants auprès des maîtres à un niveau supérieur. La mise en place de formations complémentaires au bénéfice des conseillers pédagogiques qui a commencé à se mettre en place dans certaines académies sur l'initiative de recteurs et dans un cadre universitaire (DESS, mastère) paraît une excellente initiative, d'autant que ces activités peuvent faciliter des démarches de recherche pédagogique articulées sur des pratiques réelles de terrain. » ( 166 )’

Aujourd’hui, le terme de"conseiller pédagogique" est complété du qualificatif "généraliste" dans le jargon professionnel, car d’autres catégories de conseillers ont été créées, autour de plusieurs domaines spécialisés. Tout d’abord, le conseiller pédagogique en EPS créé lors de la réforme du “tiers-temps pédagogique”, qui attribuait un tiers de l’horaire d’enseignement à l’éducation physique et sportive. Pour aider les instituteurs à appliquer ce changement substantiel (et dans une logique d’aide directe dans les classes comparable à celle ayant conduit à créer les “maîtres itinérants”), le ministère organise « la mise en place de conseillers pédagogiques de circonscription opérant au niveau des circonscriptions primaires et appelés à conseiller, guider et assister les instituteurs pour l’enseignement de l’éducation physique et sportive » ( 167 ).

La désignation habituelle utilisée pour désigner le conseiller pédagogique en EPS est celle de CPC (conseiller pédagogique de circonscription). Cette dénomination pourrait surprendre, puisque le "généraliste" est lui aussi affecté à une circonscription primaire, en fait on l’utilise par opposition au CPD–EPS (conseiller pédagogique départemental). Cette position professionnelle correspond à un débouché accessible aux CPC mais également ouvert aux enseignants d’EPS du secondaire.

On peut relever à nouveau un effet de cliquet : malgré les modifications ultérieures de la répartition des volumes horaires disciplinaires et malgré l’aide apportée aux enseignants du premier degré pendant plus de trente ans dans le domaine de l’EPS par les conseillers, les postes de CPC et de CPD EPS ont été maintenus, après la disparition du contexte professionnel qui avait justifié leur création. Un rapport de l’Inspection générale relève cet état de fait :

‘« Sur le terrain, on observe la persistance d'une organisation fondée sur deux CPC par circonscription, l'un généraliste, l'autre pour l'EPS. Ce schéma mérite d'être revu. Rien ne justifie un tel déséquilibre théorique en termes de moyens d'appui aux maîtres. Les maîtres, comme l'ensemble de la société, ont pris conscience de l'importance de l'EPS. En outre, des efforts significatifs ont été faits par les collectivités territoriales pour que les élèves puissent accéder à des installations diversifiées. Dans de nombreuses communes, des animateurs sportifs sont mis à disposition des équipes pédagogiques. La mise en œuvre de cet enseignement doit relever désormais de l'ensemble de l'équipe et ne nécessite plus un personnel consacrant un volume de temps aussi important à lui seul que pour toutes les autres disciplines. De plus, le travail de nombreux CPC EPS inclut des tâches d'ordre gestionnaire (fréquentation des piscines ou gymnases, utilisation des matériels, transports...) qui relèveraient peut-être davantage des directeurs ou de personnels des collectivités territoriales. » ( 168 )’

On peut noter une convergence progressive des pratiques professionnelles des CPC EPS vers celles des conseillers pédagogiques "généralistes" qui, de plus en plus, assument le même type d’interventions (comme l’accompagnement des enseignants débutants) dans le cadre défini par le référentiel de métier qui précise d’ailleurs que « les conseillers pédagogiques de spécialité doivent toujours intégrer la réflexion sur leur discipline dans le cadre de l’action polyvalente de l’enseignant du premier degré » ( 169 ).

Cette convergence des tâches et des missions au sein des équipes de circonscription correspond au renforcement du « niveau intermédiaire de régulation » que nous avons évoqué dans le chapitre précédent à propos de l’évolution de la direction d’école. Mais on doit noter en contrepoint la consistance du groupe professionnel constitué par les CPC–EPS d’un département, autour des CPD–EPS et le maintien du recrutement spécifique des CPC–EPS par un CAFIPEMF mention EPS. Les conseillers pédagogiques départementaux coordonnent les interventions des CPC–EPS, ils leur proposent des formations internes et organisent des actions départementales en EPS. Cette tutelle départementale est indépendante des inspecteurs (qui en prennent régulièrement ombrage), elle structure le groupe professionnel en dehors de la ligne hiérarchique habituelle et renforce son autonomie car elle est commune à toutes les circonscriptions et spécifique à l’EPS. Les spécificités didactiques et organisationnelles de l’EPS font qu’un CPC–EPS est d’abord conseiller en EPS avant d’être conseiller auprès (ou adjoint…) de l’inspecteur de sa circonscription de rattachement.

Et les prérogatives collectives du groupe professionnel sont nombreuses : intervention dans la conception et la mise en œuvre du plan départemental de formation des enseignants du premier degré pour toutes les actions de formation concernant l’EPS, intervention dans les épreuves d’EPS du concours de recrutement des professeurs d'école…

Ce champ d’intervention dans la formation interne et le recrutement initial des enseignants du premier degré est logiquement complété par un pouvoir de contrôle sur les conditions d’accès au groupe professionnel. La pression des conseillers EPS sur le CAFIPEMF spécialisé est très forte et l’on constate un verrouillage par le groupe professionnel qui contrôle les conditions d’accès et impose sa vision de l’excellence à travers les critères de sélection des candidats. Il s’agit d’éviter non seulement les nominations à l’ancienneté selon les règles habituelles du mouvement, mais aussi le recrutement d’un maître formateur qui ne serait pas "sportif", c'est-à-dire qui n’aurait pas été préalablement adoubé dans le monde de l’EPS comme un militant du sport à l’école. En l’absence d’association professionnelle, l’USEP (union sportive de l’école primaire) –association complémentaire de l’École chargée de promouvoir le sport à l’école primaire– joue un rôle d’antichambre aux fonctions de CPC. Naturellement, aucune clause du CAFIPEMF mention EPS n’impose officiellement la participation active à l’USEP, mais les membres des jurys issus du monde de l’EPS (y compris, semble-t-il, les formateurs de l’IUFM) font un barrage efficace pour que cette reconnaissance préalable soit incontournable.

D’ailleurs, la connivence entre tenants de "la cause du sport" semble transcender –au moins en partie– les clivages catégoriels du monde enseignant. Les CPC et CPD sont chargés de la gestion des équipements sportifs en lien avec les enseignants du secondaire et ils ont des contacts étendus avec ces derniers. C’est, à notre connaissance, le seul cas où l’identité disciplinaire transcende largement la clôture primaire/secondaire. Ce positionnement particulier des CPC s’explique sans doute par trois caractéristiques de l’Éducation physique et sportive. Premièrement, c’est une discipline “dominée symboliquement” dans le secondaire –pour le dire par euphémisme– pour des raisons différentes mais dans la même logique que pour l’enseignement du premier degré. Deuxièmement, elle correspond à des postures professionnelles spécifiques issues d’un recrutement et d’une formation initiale spécifiques (dans une filière autonome et spécifique). Troisièmement, les pratiques professionnelles sont fortement structurées par des “pratiques sociales de référence”, ce qui est loin d’être le cas de toutes les autres disciplines (plus) académiques.

Cela peut se traduire par une certaine convergence avec la culture professionnelle du premier degré, notamment à travers le primat accordé aux apprentissages des élèves plutôt qu’à la transmission de connaissances. Ces éléments de convergence sont illustrés par cette boutade d’un enseignant d’EPS lors d’un séminaire de doctorants à l’université Lyon 2 : « Moi, je ne peux pas me permettre de faire un cours au tableau sur le basket pendant deux heures et de dire aux élèves : "faites un match pour la prochaine fois" ».

Sans entrer plus dans les détails des spécialisations, on signalera, qu’en plus des CPC–EPS, il existe d’autres types de “conseillers de spécialité” qui interviennent au niveau d’un département ou d’un groupe de circonscriptions et dont le tableau suivant indique la répartition :

Tableau 33 : Effectifs des conseillers pédagogiques de spécialité
type de conseillers pédagogiques instituteur ou PE P.C.L. total taux
Conseiller pédagogique "généraliste" 1 551   1 551 44,8%
CP pour l'EPS 1 110   1 110 32,1%
CP pour les arts plastiques 247   247 7,1%
CP pour l'éducation musicale 246   246 7,1%
CP langues vivantes étrangères 21   21 0,6%
CP langues et cultures régionales 81   81 2,3%
CP technologies et ressources éducatives 16   16 0,5%
CP départemental pour l'EPS 57 134 191 5,5%
Total 3 329 134 3 463 100,0%
Source : Annuaire EPP 2003, cité par IGEN, 2003, « L'organisation pédagogique des circonscriptions de l'enseignement primaire », MEN, rapport N°2003-034 (page 8)

On remarque que certaines circonscriptions ne comportent pas de postes de CPC–EPS (puisque les conseillers "généralistes" sont plus nombreux) mais que l’éducation physique et sportive mobilise à elle seule plus du tiers des conseillers de circonscription ou départementaux (soit 32,1% + 5,5%), alors que d’autres disciplines d’enseignement souvent problématiques à l’école primaire (comme les langues vivantes ou l’informatique) disposent de moins d’un conseiller pédagogique sur cent.

Notes
160.

 MEN, Circulaire du 10 novembre 1961

161.

 MEN,Note de service n°96-107 du 18 avril 1996 « Fonctions et missions du conseiller pédagogique de circonscription »

162.

 QUEMENER Pierre, 1997, s.t. in Le Conseiller pédagogique et la formation. Actes du 31° congrès de l’ANCP, Hachette éducation (pp 67-68, souligné par nous)

163.

 BRUN Georges, 1997, s.t. in Le Conseiller pédagogique et la formation. Actes du 31° congrès de l’ANCP, Hachette éducation (pp 78-79, souligné par nous)

164.

 Un manuel scolaire qui se vend bien peut devenir très rémunérateur : d’après un conseiller pédagogique ayant conçu des exercices pour des manuels, les droits d’auteur lui ont permis d’acheter son pavillon en région parisienne… tandis que l’auteur principal avait acquis une villa luxueuse sur la Côte d’Azur.

165.

 LE CABEC Eugène, 1997, s.t. in Le Conseiller pédagogique et la formation. Actes du 31° congrès de l’ANCP, Hachette éducation (pp 85-86, souligné par nous)

166.

 IGEN, 2003, « L'organisation pédagogique des circonscriptions de l'enseignement primaire », MEN, rapport N°2003-034 (page 9)

167.

 circulaire interministérielle N°4686 du 30 septembre 1969, qui sera mise à jour en 1975

168.

 IGEN, 2003, « L'organisation pédagogique des circonscriptions de l'enseignement primaire », MEN, rapport N°2003-034 (page 9)

169.

 MEN,Note de service N°96-107 du 18 avril 1996 « Fonctions et missions du conseiller pédagogique de circonscription »