III.2. Du “maître–psychologue” au “psychologue de l’éducation”

On a pu remarquer, dans le schéma présentant l’AIS, la place particulière qu’occupe la position de psychologue scolaire, qui constitue à elle seule une filière professionnelle autonome avec ses propres conditions d’accès et sa formation particulière. On retrouve des logiques de "professionnalisation" d’un sous-groupe professionnel comparables à celles que nous avons examinées pour les conseillers pédagogiques : constitution d’une association professionnelle spécifique éditant une revue, organisant des congrès et œuvrant à la reconnaissance interne et externe des psychologues scolaires.

Sans entrer dans le détail des péripéties de l’historique de la psychologie scolaire, on peut relever les éléments de cette professionnalisation progressive qui sont pertinents pour notre problématique. Au niveau des principes fondateurs, la “rhétorique professionnelle” des psychologues scolaires peut s’appuyer sur le plan Langevin-Wallon qui définit le psychologue scolaire avec un triple objectif :

Mais, dès les premières mises en place expérimentales des années 1950, des problèmes institutionnels se font jour à propos des conditions d’exercice de la psychologie scolaire et du statut administratif de ses membres :

‘« Un autre débat divisait la profession, il portait sur le choix entre deux conditions d’exercice possibles : la conception du " maître psychologue " exerçant conjointement la fonction d’enseignant et de psychologue, position défendue à Bordeaux par Jean Château (conception d’une fonction s’exerçant essentiellement au niveau du collège pour permettre la généralisation du cycle d’observation en 1959), qui sera reprise un temps par le ministre pour s’opposer à la création d’un corps de psychologues de l’Éducation, et celle du "psychologue à temps plein" qui prenait acte de la spécificité de la relation psychologique par rapport à la relation pédagogique, déjà soulignée dans le plan Langevin-Wallon. C’est cette dernière option, préconisée par le professeur R. Zazzo qui fut finalement appliquée au niveau du primaire. » ( 175 )’

La création d’un corps administratif autonome pour exercer la psychologie scolaire est rejetée au profit d’un recrutement exclusif parmi les instituteurs limitant la psychologie scolaire à un débouché captif de l’enseignement du premier degré :

‘« Un second problème, beaucoup plus circonstancié, consiste à se questionner sur les qualifications du psychologue scolaire. De fait, rares sont les auteurs qui ont contesté la nécessité d’un psychologue scolaire antérieurement instituteur. […] Ainsi affirme-t-on à peu près toujours avec H. Wallon que les psychologues scolaires “devront avoir une justification pédagogique suffisante” (plan Langevin-Wallon IV) et avec R. Zazzo que “le psychologue scolaire doit être un enseignant appartenant à l’école publique”. » (R. ZAZZO, La psychologie scolaire en 1952, Enfance n°5 novembre 1952 p. 379). » ( 176 )’

La psychologie scolaire va donc se constituer dans le primaire comme une extension de l'institutorat, comme une sorte de pré carré des instituteurs . Dans cette construction sociale, les acteurs concernés avancent des arguments "rationnels", qui justifient la spécialisation de certains maîtres par les difficultés pour une seule personne d’assumer deux fonctions très distinctes dans les registres de l’action et de la compréhension :

‘« B. Andrey explique que “le maître ne peut pas être à la fois psychologue et pédagogue : les obligations de l’action pédagogique chagrinent parfois le psychologue ; inversement, le désir de compréhension paralyse parfois le pédagogue” (B. ANDREY, Synthèse des journées de psychologie scolaire, Bulletin de l’AFPS N°2 novembre 1962 pp 88-89). » MARC, 1977, op. cit.’

Mais il existe aussi, implicitement, des arguments "stratégiques" visant à ménager les instituteurs :

‘« A. Beslay voit de plus, dans cette origine du psychologue scolaire, une heureuse disposition susceptible de calmer la méfiance des maîtres : “aux yeux de l’instituteur chargé d’une classe, le psychologue scolaire ne pouvait apparaître comme un intrus” (A. BESLAY, La psychologie scolaire et l’enseignement du premier degré, Enfance N°5, novembre 1952 p.379). » MARC, 1977, op. cit. (souligné par nous)’

D’ailleurs cette prudence vis-à-vis de la susceptibilité professionnelle des maîtres (qui sont en quelque sorte dessaisis d’une partie de leurs prérogatives par la constitution d’un sous-groupe professionnel spécialisé) est visible dans la première circulaire ministérielle qui définit les missions et le positionnement professionnel du psychologue scolaire :

‘« Le psychologue scolaire n’est pas un spécialiste venu de l’extérieur ; il est attaché à une école comme tout autre instituteur ; seulement, il doit à sa formation psychologique plus étendue d’être chargé de certains problèmes qui préoccupent tous les maîtres, mais que le manque de temps ou l’insuffisance de leurs connaissances psychologiques, dont on ne saurait, bien entendu, leur tenir rigueur ne leur permettent pas d’approfondir. » ( 177 )’

Sur un autre registre, on peut remarquer que les premiers recrutements de psychologues scolaires constituent une forme de mobilité structurelle ( 178 ). Les premiers postes sont créés dans les années 1960, durant la période de "massification" du collège. L’obligation scolaire est étendue jusqu’à 16 ans et l’ouverture de l’enseignement secondaire se fait en créant des filières hiérarchisées en collège, ce qui rend nécessaire un dispositif permettant d’orienter "rationnellement" les élèves du primaire selon leurs dispositions scolaires :

‘« En 1959, la réforme Berthoin, qui prolonge jusqu’à 16 ans la scolarité obligatoire et crée en C.E.G. ou en lycée le cycle d’observation pour les élèves de 11 à 14 ans, conduit logiquement, pour leur orientation, à prévoir la formation de psychologues scolaires et de 6 000 conseillers psychologues (arrêté du 2 juin 1960). » ( 179 )’

À ces premiers positionnements internes par rapport à l'institutorat dans les années 1960, vont faire suite des ajustements externes par rapport à la psychologie qui contrôle progressivement son exercice professionnel dans les années 1980. Une loi de 1985 encadrant l’usage du titre de psychologue vient institutionnaliser cette professionnalisation en assurant la reconnaissance et la protection du titre de psychologue. Désormais, chacun ne peut plus se déclarer librement "psychologue" pour faire ce que bon lui semble, puisque la loi fixe des conditions très précises de diplôme encadrant l’usage du titre de psychologue. Cela pose problème pour certains psychologues scolaires en poste (en particulier ceux exerçant au titre de “faisant–fonction”) qui ne disposent pas de la certification universitaire imposée aux psychologues dans leur ensemble. Face aux recours intentés par des associations professionnelles de psychologues extra scolaires à l’encontre des psychologues scolaires les moins diplômés, l'Éducation nationale prend des mesures « d’intégration dérogatoire » des personnels en poste et crée en 1989 le diplôme d’État de psychologue scolaire (DEPS). En 1990, la définition des missions des psychologues scolaires (premier texte officiel publié au B.O.E.N.) est l’occasion de délimiter la psychologie scolaire par rapport au cadre législatif général régissant les psychologues dans leur ensemble :

‘« Le décret du 22 mars 1990 fixe la liste des diplômes permettant de faire usage professionnel du titre de psychologue […] Ces dispositions fondent la spécificité de l’exercice de la psychologie en milieu scolaire et l’identité professionnelle des psychologues scolaires, déjà bien connues des enseignants et des usagers de l’école. Dans ce contexte nouveau, il convient de compléter ces dispositions en précisant les missions et les activités des psychologues scolaires à l’école maternelle et élémentaire où ils sont appelés à exercer leurs fonctions. Tel est l’objet de la présente circulaire qui se substitue à la circulaire du 8 novembre 1960. » ( 180 )’

Quelques années plus tard, on peut noter que les problèmes ne sont pas tous réglés, puisque l'Éducation nationale émet une note de service en forme de rappel à l’ordre insistant sur la nécessité d’harmoniser les pratiques internes de l'Éducation nationale avec le cadre législatif encadrant la profession de psychologue et l’usage du titre de psychologue :

‘« Les questions récurrentes concernant les modalités d'accès à l'emploi de psychologue scolaire me conduisent à vous rappeler les dispositions législatives et réglementaires s'attachant à l'usage professionnel du titre de psychologue ainsi que les procédures en vigueur pour exercer les fonctions de psychologue scolaire. […] J'appelle votre attention sur le fait que, faute d'être détenteur du diplôme d'État de psychologie scolaire, les intéressés doivent remplir strictement, s'agissant des titres universitaires, les conditions fixées par le 1° et le 2° de l'article 1er du décret n° 90-255 du 22 mars 1990 précité. À défaut, il pourrait vous être fait grief d'avoir autorisé l'exercice de la psychologie en milieu scolaire à des personnels non autorisés. » ( 181 )’

De son côté, l’association professionnelle agit en faveur d’une reconnaissance institutionnelle, en réclamant non seulement une élévation du niveau de certification des psychologues scolaires mais aussi l’accroissement de leur autonomie professionnelle par rapport à l'institutorat (par un recrutement effectué par concours externe) et une harmonisation avec leurs homologues du second degré :

‘« L'AFPS souhaite une évolution des textes régissant la profession et elle recommande :
• Une formation en deux années après la licence de psychologie, incluant la maîtrise et conduisant à un DESS spécifique. L’AFPS prit acte de la création du DEPS qui ne répondait pas à ses espérances mais approuva la circulaire de 1990 définissant les missions du psychologue scolaire où elle retrouvait nombre de ses conceptions. L'AFPS ne se satisfait pas de la formation actuelle. La préparation du DEPS en une année après la licence de psychologie ne répond pas au besoin de formation de haut niveau défini dans la loi de 1985. L'AFPS préconise une formation sur la base d'un DESS de psychologie. Le DEPS serait préparé post DESS (essentiellement sur le terrain + une recherche).
• Un recrutement sur concours (externe et interne). L’AFPS qui préconise depuis des années un recrutement par concours interne et externe (comme c’est le cas jusqu’à maintenant pour les Conseillers d’orientation psychologues), regrette que le Ministère de l’Éducation Nationale ne fasse pas évoluer les conditions de recrutement qui pourraient aider à pourvoir les nombreux postes laissés vacants faute de candidats.
• Une harmonisation de la formation des psychologues scolaires et de celle des conseillers d'orientation psychologues (tout en tenant compte des nécessaires spécificités) afin d'aboutir à terme à une profession unique de psychologue de l'éducation exercée de l'école maternelle jusqu'à l'université. » ( 182 )’

À l’heure actuelle, la constitution d’une « profession unique de psychologue de l'éducation exercée de l'école maternelle jusqu'à l'université » par l’unification des psychologues scolaires et des COP (conseiller d’orientation psychologue) intervenant dans le secondaire n’est pas vraiment à l’ordre du jour des réformes ministérielles ( 183 ). Les données disponibles indiquent que le passage de l’enseignement du premier degré à la position de COP est relativement fréquent puisque près de 16% des conseillers d’orientation ont débuté leur carrière dans le primaire ( 184 ). Mais, à notre connaissance, aucun d’entre eux n’a été psychologue scolaire dans le primaire avant de réussir le concours de COP.

Après cette présentation des processus de "professionnalisation" des psychologues scolaires, passons dans la sous-section suivante aux débouchés "de second rang" ouverts aux titulaires du CAPSAIS.

Notes
174.

 Source : site internet de l’AFPS (association française des psychologues scolaires) en 2003 (afps.net)

175.

 PIACIÈRE Jean & MARIEL Raymond & ROUSSEL Nicole, 1995, L’aventure professionnelle des premiers psychologues scolaires, AFPS (association française des psychologues scolaires) page 24 (souligné par nous)

176.

 MARC Pierre, 1977, Les psychologues dans l'institution scolaire. Activités et problèmes actuels, Le Centurion page 55 (souligné par nous)

177.

 circulaire N°205 du 8 novembre 1960 définissant les missions des psychologues scolaires (dite “circulaire Lebettre”, non publiée au BO)

178.

 Nous détaillerons les formes de mobilité structurelle ouvertes aux instituteurs dans le chapitre suivant, rappelons seulement pour l’instant qu’il s’agit d’une mobilité professionnelle provoquée par un changement du contexte d’emploi et la création de nouvelles positions professionnelles qui aboutissent à un volume important d’opportunités émergentes.

179.

 PIACIÈRE Jean & MARIEL Raymond & ROUSSEL Nicole, 1995, L’aventure professionnelle des premiers psychologues scolaires, AFPS (association française des psychologues scolaires) page 18

180.

 MEN, 1990, « Missions des psychologues scolaires des réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté » Circulaire n° 90-083 (B.0. n° 16 du 19 avril 1990)

181.

 MEN, 2002, « Emploi de psychologue scolaire. Modalités d’accès », Note de service N°2002-257 du 20/11/2002 B.O.E.N. N°44 (souligné par nous)

182.

 Source : site internet de l’Association française des psychologues scolaires en 2003 (afps.net)

183.

 Le projet de régionaliser la gestion administrative des COP a d’ailleurs provoqué un large mouvement d’opposition au printemps 2003.

184.

 GENTIL Régine & SERRA Nathalie & 1997, La fonction de conseiller d’orientation psychologue des centres d’orientation vue par les différents acteurs, DEP-MEN