La position d’inspecteur est donc la seule destination professionnelle qui soit assimilable à une promotion interne prise au sens strict. Elle n’est d’ailleurs accessible que par la voie d’un concours de recrutement de la fonction publique, qui n’est pas réservé aux enseignants du premier degré ( 212 ). Pendant une période révolue, une part des postes offerts au concours était réservée aux instituteurs, mais ce quota de recrutement (compris entre 25 et 50% selon les époques) a été supprimé. Depuis l’origine, ce concours recrute largement parmi les enseignants du secondaire et se révèle très sélectif, comme le montrent les dernières valeurs de l’évolution du nombre de candidats et de postes offerts :
sessions | inscrits | postes offerts | taux |
1997 | 473 | 44 | 9% |
1998 | 431 | 62 | 14% |
1999 | 472 | 65 | 14% |
Source : Document d’information accompagnant le dossier de candidature au concours de recrutement des inspecteurs de l’Éducation nationale session 2000 pour les deux premières colonnes. | |||
Lecture : Lors de la session de 1997, 473 personnes se sont inscrites au concours et 44 postes étaient prévus, ce qui représente une proportion de 9%. |
Mais qu’en est-il de l’importance numérique de cette voie de reconversion professionnelle ? Quel est le taux de recrutement des IEN parmi les instituteurs ? Quelle en est l’évolution au fil du temps ? Une thèse en sciences de l’éducation portant sur « les inspecteurs des écoles primaires » permet de reconstituer de nombreux éléments sur la mobilité professionnelle des enseignants du premier degré vers ce groupe professionnel ( 213 ). En ce qui concerne l’évaluation du taux de recrutement interne au premier degré, on peut reconstruire des données relativement détaillées à partir de tous les éléments fournis par l’auteur, comme l’indique le tableau suivant :
année | nombre de recrutements | dont instituteurs | taux d’instituteurs |
1945 | 55 | 28 | 51% |
1950 | 36 | 21 | 85% |
1955 | 32 | 23 | 72% |
1975 | 49 | 17 | 35% |
1976 | 50 | 17 | 34% |
1977 | 50 | 17 | 34% |
1978 | 50 | 13 | 26% |
1979 | 50 | 18 | 36% |
1980 | 80 | 23 | 29% |
1981 | 100 | 37 | 37% |
1982 | 108 | 42 | 39% |
1983 | 104 | 45 | 43% |
1984 | 108 | ||
1985 | 155 | 42 | 27% |
1986 | 90 | 33 | 37% |
1987 | 60 | ||
1988 | 50 | ||
1989 | 55 | 27 | 49% |
1990 | |||
1991 | 40 | 18 | 45% |
1992 | 55 | 38 | 69% |
1993 | 65 | 43 | 66% |
1994 | 62 | 42 | 68% |
total | 1 163(*) | 472 | 41%(**) |
* : le total est effectué à partir de 1975 sur les années comportant le nombre d’instituteurs | |||
** : le calcul du taux est fait sur les années comportant le nombre d’instituteurs | |||
Source : FERRIER 1995, op. cit. pp. 875-879 | |||
Lecture : en 1975, 17 instituteurs ont été reçus au concours de recrutement d’IEN, ce qui représente 35% des 49 candidats reçus |
La période antérieure à 1975 est marquée par un taux de recrutement parmi les instituteurs toujours supérieur à la moitié et qui dépasse les deux tiers durant les années cinquante. Si, comme l’auteur, on remonte aux origines de l’École, on peut noter que le nombre d’inspecteurs "issus du rang" suit cette tendance depuis le début du siècle.
Pour la période allant de 1975 à 1990, on note un taux de recrutement voisin du tiers avec de fortes variations ponctuelles. Durant cette période, le concours de recrutement réservait une part des postes mis au concours pour les instituteurs en poste (10% selon un texte de 1972, puis selon un quota variant de 25% à 50%), les autres places étant ouvertes aux détenteurs du CAPES ou de l’agrégation.
Depuis 1990, la pratique des quotas a été supprimée et le concours est ouvert à tout détenteur d’une licence (ce qui est le cas d’un nombre grandissant d’instituteurs et de tous les professeurs d’école recrutés par voie de concours externe). Les premières années de cette nouvelle organisation du recrutement correspondent à une forte augmentation du taux d’instituteurs parmi les IEN recrutés. Cette évolution peut provenir soit d’une diminution du nombre des candidats issus du secondaire, soit d’une politique de recrutement privilégiant le recrutement parmi les enseignants du premier degré. Il faut d’ailleurs noter que la dernière forme de recrutement ne comporte plus d’épreuves écrites de sélection, qui ont été remplacées par une admissibilité sur dossier suivie d’un oral d’admission. On peut donc penser que ces modalités du concours permettent aux responsables du concours de moduler les taux de recrutement parmi les enseignants du premier et du second degré. Nos informations portant sur les épreuves orales d’admission au concours semblent indiquer que les maîtres formateurs et plus particulièrement les conseillers pédagogiques de circonscription font partie d’un "profil" de carrière souvent valorisé par les jurys. En tout état de cause, on peut retenir que deux IEN sur trois recrutés à notre époque ont été enseignants du premier degré.
Enfin, si l’on synthétise toutes les valeurs disponibles depuis 1975, on observe que globalement, près de 40% des IEN ont été instituteurs avant d’être inspecteurs.
Avant d’aborder les enjeux symboliques attachés à ce taux de recrutement, il convient de rappeler qu’il s’applique à des flux très faibles en valeurs absolues, puisque le nombre d’IEN recrutés chaque année fluctue entre une cinquantaine et une centaine. On peut donc estimer que près de 1 500 instituteurs sont devenus ien durant les quatre dernières décennies (soit 0,5% rapporté aux trois cent mille instituteurs en exercice). On peut donc affirmer que rares sont les personnes parmi les enseignants du premier degré qui deviennent inspecteurs, mais que, simultanément, une majorité de plus en plus dominante des IEN ont commencé leur carrière comme enseignant du premier degré.
Par ailleurs, nous devons signaler que les données que nous venons d’analyser sont affectées d’un biais car elles sont fondées sur la profession des impétrants au moment de leur réussite au concours de recrutement d’IEN. Si l’on se replace dans une approche longitudinale, on doit noter qu’une fraction des enseignants du secondaire reçus au concours sont en fait d’anciens instituteurs devenus PEGC ( 214 ). Nous aborderons dans la section suivante les caractéristiques quantifiables des recrutements d’enseignants du secondaire parmi les instituteurs, et les oppositions symboliques que cela a pu déclencher. Retenons-en seulement deux aspects concernant la mobilité hiérarchique : d’une part une légère réévaluation du taux des "inspecteurs sortis du rang", et d’autre part des éléments de compréhension sur le parcours professionnel des instituteurs devenus PEGC et qui, en devenant IEN, ont en quelque sorte choisi de "rentrer au bercail" (et par la grande porte).
Si l’on exclut le cas particulier (et transitoire) de la position de “faisant–fonction” qui a été présentée antérieurement et sur laquelle nous reviendrons en fin de chapitre.
Ferrier Jean, 1995, Les inspecteurs des écoles primaires, thèse en sciences de l’éducation sous la direction d’Alain Mingat, Université de Bourgogne
Notre enquête empirique ne nous a pas permis de reconstituer des données exhaustives sur le parcours "instituteur–PEGC–IEN" mais elle nous a donné l’occasion d’en relever de nombreux exemples dans les réponses au questionnaire (dont une a pu déboucher sur un entretien dont nous présentons des extraits en fin de section).