I.3. Typologies des mobilités et des trajectoires sociales

Le modèle d’un espace social à deux dimensions représenté dans le graphique précédent permet de définir une typologie des trajectoires de mobilité à partir de la position d’instituteur, dans laquelle chaque type de trajectoire correspond à un déplacement vers un des quadrants :

Tableau 46 : Typologie des mobilités induites par la reconversion
quadrant d’arrivée niveau de diplôme niveau de revenu exemples de positions d’arrivée
A + + professeur, ingénieur, profession libérale
B + cadre moyen, artisan, commerçant, industriel...
C technicien, employé, ouvrier...
D +  
Source : graphique précédent
Lecture : la trajectoire résultant du passage de l'institutorat à la position de professeur correspond à un accroissement du niveau de diplôme et du niveau de revenus.

On voit que la mobilité professionnelle en cours de carrière peut correspondre soit à acquérir un niveau de diplôme supérieur pour rejoindre un groupe mieux loti culturellement et économiquement, soit à rejoindre un groupe mieux loti économiquement mais ayant un niveau de diplôme inférieur à la position de départ, soit à rejoindre un groupe ayant un niveau inférieur dans les deux dimensions. Le quadrant D étant vide, “l’espace des possibles” se décrit, dans ce modèle, selon trois types de trajectoire sociale en aval de l'institutorat : soit une trajectoire ascendante dans les deux dimensions, soit une trajectoire ascendante seulement dans la dimension économique, soit une trajectoire descendante dans les deux dimensions.

On peut également mobiliser le modèle pour ce qui concerne la mobilité sociale induite par le recrutement initial dans l’enseignement du premier degré pour construire le tableau de synthèse suivant :

Tableau 47 : Typologie des mobilités induites par le recrutement
quadrant de départ niveau de diplôme niveau de revenu parents
A professeurs, ingénieurs, professions libérales
B + cadres moyens, artisans, commerçants, industriels...
C + + techniciens, employés, ouvriers...
D +  
Source : graphique précédent
Lecture : la trajectoire résultant du recrutement dans l'institutorat d’un enfant de professeur correspond à une diminution du niveau de diplôme et du niveau de revenu (en comparaison avec la position sociale du père).

Au niveau de la reconversion, on retrouve trois types de trajectoires sociales : une évolution doublement positive, une évolution mixte et une évolution doublement négative. On doit noter une limitation importante par rapport à la typologie précédente, puisque les origines socioprofessionnelles ne se réduisent pas toujours à une seule position dans les deux dimensions. En effet, sauf à réduire les origines socioprofessionnelles d’un individu à la position de son père, celles-ci ne sont pas toujours homogènes et l’on doit souvent envisager d’autres critères comme le niveau de diplôme de la mère. D’autre part, on doit remarquer que, par construction, notre modèle à deux dimensions ne permet pas de prendre en compte les positions socioprofessionnelles que l’on pourrait évaluer comme équivalentes à l'institutorat.

À partir de ces premières observations, nous allons construire une typologie des trajectoires sociales prenant en compte la position sociale à trois moments, en confrontant l’origine socioprofessionnelle, l'institutorat et la destination socioprofessionnelle après reconversion professionnelle, situés sur une seule échelle hiérarchisée.

Tableau 48 : Typologie des trajectoires sociales sur trois positions
Tableau 48 : Typologie des trajectoires sociales sur trois positions

Lecture : Dans chaque case, le point représente le passage par l'institutorat, le segment de gauche indique la pente du recrutement (mobilité en amont) et le segment de droite correspond à la pente de la reconversion (mobilité en aval). Ainsi la case "A" indique la forme de la trajectoire composée par un recrutement ascendant suivi d’une mobilité descendante.

La première diagonale (sud-ouest – nord-est) du tableau correspond aux trajectoires comportant un seul type de pente : la case G représente les trajectoires deux fois descendantes, la case E représente les trajectoires deux fois stables et la case C représente les trajectoires deux fois ascendantes.

La seconde diagonale (nord-ouest – sud-est) du tableau correspond aux trajectoires dans lesquelles la mobilité en aval consiste à retrouver sa position d’origine d’avant recrutement. Notons que l’usage de l’expression de « contre–mobilité » est presque toujours réservé aux trajectoires dans lesquelles la deuxième mobilité permet de compenser une première mobilité descendante (case I).

Certaines caractéristiques déjà présentées de notre objet permettent de poser des hypothèses sur la fréquence des trajectoires. Les parcours professionnels qui nous occupent correspondent presque tous à une mobilité professionnelle choisie, ce qui implique que les reconversions descendantes sont rares, et les trajectoires de la première colonne sont les moins probables du tableau. D’autre part, on peut poser l’hypothèse que les trajectoires doublement ascendantes (case C) et les contre–mobilités au sens strict (case I) constituent les deux formes les plus fréquentes parmi l’ensemble des trajectoires possibles, car elles correspondent à deux configurations sociales dont on perçoit bien la logique et qui semblent fréquentes. Cela nous permet d’aboutir au tableau de synthèse suivant :

Tableau 49 : Les fréquences probables des trajectoires sociales
Tableau 49 : Les fréquences probables des trajectoires sociales

Lecture : Les hypothèses de fréquence sont représentées par l’usage du gris : les trajectoires les plus improbables sont tracées en gris et les trajectoires les plus probables sont placées sur fond grisé.

Avant de clore cette présentation de “l’espace des possibles” des trajectoires sociales, on peut remarquer que les deux cheminements professionnels détaillés dans les chapitres précédents (à savoir ceux de Daniel et de Jean) correspondent tous les deux à la trajectoire doublement ascendante représentée dans la case C.

Nous allons à présent analyser séparément les deux moments (en amont et en aval) des trajectoires sociales dans les deux sections qui suivent, puis nous reprendrons le tableau ci-dessus en fin de chapitre, en le complétant avec les valeurs relevées dans notre population d’enquête.