Décrire sa carrière dans le premier degré

La première classe lexicale issue du traitement représente 17% des énoncés retenus et correspond à des descriptions précises, utilisant des noms de mois, des dates, des nombres. Elle est caractérisée par une forte présence de marqueurs temporels (premier, année, deuxième, précédent, prochain, an, fin, rapide, initial, suivant…). La présence significative des auxiliaires être et avoir correspond à des descriptions formulées au passé composé dans lesquelles le répondant rapporte des actions qu’il a effectuées durant sa carrière (« à ce moment-là, j’ai fait la démarche de… » « ensuite, je suis parti à… »). La présence significative de marqueurs d’une relation discursive pourrait surprendre dans ce type de récit descriptif et distancié ; cependant, il convient de se souvenir que les répondants racontent des événements qu’ils ont vécus eux-mêmes, d’où la forte présence de phrases à la première personne du singulier dans ces descriptions.

Figure 45 : Représentation de l’analyse lexicale des entretiens
Figure 45 : Représentation de l’analyse lexicale des entretiens

Note : Les éléments apparaissant en grisé sont produits par le logiciel, nos ajouts sont imprimés en noir.
Lecture : Sur la projection de mots significatifs générée par le logiciel, nous avons ajouté la position des quatre classes lexicales (notées #1 à #4) issue d’un autre graphique, puis nous avons tracé le contour du nuage de mots correspondant à chaque classe. Enfin nous avons ajouté, pour chaque axe et pour chaque contour, une étiquette synthétisant les caractéristiques que nous avons dégagées des analyses qui sont présentées dans le texte ci-contre : l’axe horizontal oppose distance et engagement (ou récit et discours au niveau de l’énonciation), l’axe vertical oppose passé et présent…

L’examen du vocabulaire de la classe permet d’ailleurs de relever que le mot “je” est spécifique de cette classe et qu’il apparaît dans 222 unités d’analyse sur 255. La présence du pronom “je” dans cette classe lexicale ne renvoie pourtant pas à la catégorie sémantique du discours, mais à un récit distancié décrivant des événements survenus au répondant. Nous avons intitulé cette première classe lexicale la carrière d’instituteur, car elle rend compte du déroulement de la carrière d’instituteur, en détaillant les modalités pratiques et les enchaînements de postes, sur un mode distancié. La première classe correspond à une manière de parler de son cheminement professionnel, dans laquelle il est surtout question de gestion de carrière, dans la plus pure tradition de la fonction publique, selon une logique "rationnelle bureaucratique". La position d’instituteur est considérée en extériorité, c’est « un métier comme un autre », avec ses inconvénients et ses avantages qu’il convient de défendre le cas échéant : « l'année d'avant, le conseil général avait supprimé la ligne budgétaire, donc les collègues, leur indemnité logement, ils ne l'avaient pas eue. Nous, on avait été informé de ce point-là, et on a agi en conséquence, par des délégations au conseil général, on a demandé à voir les responsables, les élus chargés de l'enseignement… ».

D’ailleurs, on trouve dans les énoncés de cette classe des descriptions de reprise ou de continuation d’études entreprises durant la carrière d’instituteur, qui sont faites dans le but explicite de préparer une mobilité professionnelle (ou –pour le moins– de la rendre possible, au cas où les inconvénients viendraient à l’emporter sur les avantages). On peut discerner une instrumentalisation du métier d’instituteur, qui, dans certains cas, est explicitement évalué comme une solution parmi d’autres, en jaugeant contraintes et rétributions de tous ordres : « j'avais fait un peu le pari de rompre avec cet enseignement du premier degré et ça me retombait dessus, en quelque sorte. Donc, je l’ai pris très basse tension et très basse charge cognitive. En fait, ça s’est bien passé, pendant un mois. ». Des énoncés de cette classe, on peut retenir une insistance sur les processus, sur les particularités de déroulement de carrière ayant un lien avec le départ, et plus particulièrement les "filières internes de l’institutorat". Cette forme d’insistance correspond à un rapport instrumental au métier et à une "posture biographique" teintée d’utilitarisme.